Denis Fournier : une secrète présence

 

Denis Fournier : une secrète présence capture-decran-2023-04-10-a-18.44.34-300x251

 

Peut-on savoir ce que Denis Fournier nous dissimule aujourd’hui ? Puisqu’aussi bien son dernier ouvrage porte en titre « Je suis caché sous ma peau » (Label Vent du Sud) et que l’on peut bien se demander en effet, cela qui est caché, comme s’il y avait une différence entre le musicien – mais ce pourrait-être n’importe lequel/laquelle d’entre-nous ce serait tout pareil – et sa « peau ». A moins qu’il ne s’agisse de la peau des tambours qui sont sans aucun doute, une part du musicien lui-même. Et rien d’une dissimulation. Ce qui se montre et se voit, tout au contraire.

Mais bref, est-ce cela qui importe ?
Il faut ici dire l’essentiel : cet enregistrement qui se double/dédouble des images d’un DVD est un long solo de Denis Fournier qui se décline en treize plages (CD) ( et ramenées à neuf dans la version filmée.)

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Il y a une quinzaine d’années Denis Fournier avait déjà entrepris un tel exploit avec une réelle réussite. On peut parler d’exploit en effet dans la mesure où ce genre en lui seul (le solo de percussions) semble a priori relever d’un défi, en quelque sorte partagé par le musicien comme par l’auditeur.

Ici, dès les premières notes, on peut entendre comme une mélodie. (Le comparatif cependant est en excès ! ) Et il en serait de même tout au long de la musique à laquelle Denis Fournier nous invite si toutefois « mélodie » ne constituait pas un terme référent très en-dessous de la réalité. C’est à un orchestre tout entier que l’on nous invite ici et c’est au bonheur de la variété des sonorités, des timbres, des harmonies, c’est à un langage complexe et en même temps fait d’une sorte d’évidence que nous sommes conviés.

Mais il faudrait peut-être dire encore davantage. Quel est ce langage « complexe » comme il a été dit ? Ou plutôt que dit-il ? Mais si on le définit un tant soit peu c’est sans doute ainsi que l’on saura ce qu’il peut nous dire. et seulement ainsi… Ce que l’on entend dans la dernière musique de Denis Fournier c’est une parole. « Une parole » au sens où un poème est une parole. Plus, au moins dans la forme, mais davantage, bien plus, dans la présence à soi de celui qui la prononce comme de celui qui l’entend, bien au-delà d’une démonstration, d’un long discours.

La musique de Denis Fournier s’affirme ici comme une poésie. Ce n’est pas la première fois, bien sûr. Mais c’est assurément au moins l’une des plus belles.



Simon Moullier « Isla »

Simon Moullier

 

Désormais, il est possible que quelques « coups de cœur » trouvent parfois ici une place.
C’est bien le cas du disque de Simon Moullier « Isla » qui sort le 17 février de cette année 2023.

Simon Moullier est ce vibraphoniste dont Herbie Hancock a proclamé quelque chose comme : « Jamais personne jusqu’à ce jour n’a entendu quelqu’un jouer du vibraphone comme ça » !

Si « Isla » est son troisième enregistrement Simon Moullier qui nous propose chaque fois des formations différentes (pas seulement des partenaires mais des instruments plutôt) a ici magnifiquement réussi. Là où sans doute non plus on ne pouvait l’attendre – ni lui, ni n’importe quel vibraphoniste non plus ! (ce qui doit donner raison au pianiste de Miles) – à savoir dans l’alliance de son instrument et du piano. Celui, merveilleux, de Lex Korten.

Il est certain que Simon et Lex réussissent ici à offrir un alliage parfait, étonnant – je veux dire qui sait nous saisir à chaque mesure – ensemble qui est soutenu, porté à tout instant par la basse d’Alexander Claffy et la batterie de Jongkuk Kim avec une subtilité et une inventivité qui font déjà espérer que leur aventure commune se poursuivra. Elle vaut, assurément, de ne pas s’arrêter sur cette « île », fut-elle si évocatrice, non seulement des jeunes années bretonnes de Simon Moullier, mais peut-être surtout d’une certaine conception de la vie et donc de la musique.

Depuis notre point de vue, depuis l’Europe, il nous est difficile de connaître véritablement l’évolution du jazz outre-Atlantique. « Isla » nous en donne cependant un très bon aperçu. Simon Moullier vit à New York City, comme Lex Korten et Alexander Claffy. Jongkuk Kim vient de Séoul et réside à Boston. Il est à peu près certain que leur musique est loin de représenter toute la créativité de la scène du jazz « made in USA » mais il est sûr en revanche qu’ils sont bien tous les quatre l’exemple de ce que peut devenir l’alliance de la tradition des années soixante ou soixante-dix avec toute l’ouverture, toute la liberté, toute la vivacité de l’invention que le jazz porte en lui. Moullier est ainsi un héritier de Coltrane et il affirme parmi ses influences Wayne Shorter, Clare Fischer mais aussi Ravel ou Stravinsky. Des « influences » donc mais surtout de l’imagination, de la créativité et en conclusion une authentique beauté.

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Dmitri Baevsky : « Kid’s Time », à travers le temps…

C’est sans doute pour saluer un musicien, digne, me semble-t-il, de l’intérêt de celles et ceux qui aiment le jazz que je rouvre pour quelques instants cette chronique. Ce qui sera aussi une manière de souhaiter de bonnes fêtes et une heureuse année à chacune et à chacun.

Dmitri Baevsky :

Ce musicien, dont il m’est déjà arrivé de dire ici le plus grand bien, c’est le saxophoniste Dmitri Baevsky.

Baevsky nous offre aujourd’hui un très beau « Kids’ Time » (Fresh Sound New Talent/Socadisc) accompagné du contrebassiste Clovis Nicolas et du batteur Jason Brown ; le trompettiste Stéphane Belmondo intervenant quant à lui sur trois morceaux.

Si je reviens compléter ainsi ces « Notes de jazz » c’est pour répondre en fait à une objection faite parfois à propos de Baevsky, objection selon laquelle il n’amène rien de neuf, qu’il n’y a aucune invention dans cette musique, que tout, ici, serait « entendu », sinon convenu.

Si l’on prend à la lettre la conception du jazz comme d’une musique « ouverte », radicalement « ouverte », doit-on approuver ce propos ?

Il me semble que non. Il me semble – peut-être paradoxalement – que Dmitri Baevsky en est un très grand et très bel, très intéressant exemple.
Il est vrai qu’il incarne en quelque sorte le bop et le hard bop des années 50 et 60. Qu’il y a en lui du « Jazz Messenger » et de bien d’autres musiciens de ces temps, reculés désormais.
« Reculés », mais peut-être pas. D’abord parce que cette musique est belle, définitivement superbe. Et que c’est sans nostalgie qu’il faut l’écouter. Dans sa présence absolue. Qui est en dehors du temps.

Mais aussi parce que l’invention pour l’invention c’est formidable, essentiel, mais que jamais, une véritable invention artistique n’a effacé la précédente. Degas a-t-il renvoyé Vinci ou Caravage aux oubliettes ? Pas davantage l’abstraction de Kandinsky n’a pas fait disparaître la peinture qui l’avait précédée. Il en est de même dans le monde musical. Mozart a bouleversé bien des choses. Cela n’a pas empêché que l’on puisse s’enthousiasmer pour la musique ancienne ou pour la viole de gambe des « matins du monde ». Les « Viennois » ont-ils renvoyé Chopin et Schumann aux tréfonds de nos mémoires ?

©Hicham Marzougoug

©Hicham Marzougoug

Ici, on ne peut dire non plus que Baevsky joue « revival ». Ce qui pourrait être d’ailleurs tout à fait acceptable. Il joue plutôt disons, dans l’esprit d’une musique qui a vu le jour il y a soixante ou soixante-dix ans et dont le jazz, non seulement d’aujourd’hui, mais aussi de demain continuera de se nourrir.

Ici, dans « Kids Time », il interprète pour l’essentiel des compositions personnelles et cela ne peut confirmer que c’est une musique qui, tout en étant ancrée dans une tradition ou plutôt dans une culture, est aussi celle d’un musicien, c’est-à-dire d’une personne. Ce qui signifie que, dans ces conditions, l’invention n’est pas un bouleversement, pas une révolte ou une révolution, mais le fruit d’un travail, d’une connaissance, de nombreuses reconnaissances. C’est dans l’expression d’une personnalité que Dmitri Baevsky nous fait éprouver la joie de la musique.

©Marina Chassé

©Marina Chassé

« Kid’s Time », comme les enregistrements précédents de Baevsky, méritent non seulement toute notre attention, mais bien plus, tout notre attachement. Il me semble même que, si l’on aime le jazz, si on aime ce qu’il a de dérangeant parfois, là donc où se trouve la source de tant d’innovations si fertiles, eh bien il faut aussi se passionner pour une musique comme nous l’offre ce beau trio. Non pas comme on aime une musique du passé ou plutôt une musique « passée », voire passéiste, mais comme le même jaillissement qui est au cœur de ce que l’on nomme « jazz ». A travers les époques, à travers le temps, à travers quelques générations. A travers tous ses changements et toutes ses immenses et intenses « figures ».

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Post-scriptum

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« In Wonderland We Trust » par Claire Trouilloud et Jean-René-Mourot

 

Heureusement – je veux dire par cet adverbe que c’est, dès la première note, un vrai bonheur – cela débute par « Cheek To Cheek. » Et, jusqu’au bout, d’inventions en standards, ce monde merveilleux l’est à chaque instant.
Jean-René Mourot ne fait pas partie des pianistes les plus reconnus, mais assurément des plus justes et des plus imaginatifs, des plus profonds et des plus intenses qui soient. On pourrait peut-être se demander si là ne se trouve pas la raison-même de ce qu’il ne fait pas »la Une ». Mias ce serait sans aucun doute « mal penser ».

La soprano Claire Trouilloud, quant à elle, sait tout chanter, les musiques classiques, médiévales, baroques, comme le jazz, la musique contemporaine ou improvisée.
Leur réunion, décidément, est une chance pour nous, pour notre cœur, pour notre esprit. Pour la clarté qu’ils apportent au monde. Pour la confiance dans la musique et donc dans la vie, confiance qu’ils nous offrent, qu’ils nous montrent. (Label Oh !/Inouïe distribution)

 

 Chrystelle Alour

« Ways Out » par Claude Tchamitchian quintet

 

La musique que nous offre Claude Tchamitchian est toujours d’une grande beauté. Empreinte de poésie, c’est-à-dire d’invention, de création, d’imagination. Elle n’est jamais close, enfermée, nous retenant dans des habitudes venues de loin. Elle est ainsi, à chaque fois, un nouveau chemin. Qui souvent ne mène nulle part où nous serions déjà venus. Et, cependant, nous nous trouvons chez nous. En elle nous nous reconnaissons. « Ways Out » n’échappe en rien à cette ambition – ou plutôt devrait-on dire à l’art de ce formidable instrumentiste et compositeur qu’est Claude Tchamitchian – et précisément, ici où là (sait-on jamais où nous nous trouvons ?) il nous embarque dans des voyages intrépides qui ouvrent l’horizon. Et nous concilient le monde.
Claude Tchamitchian (compositeur et contrebassiste) est ici entouré de Daniel Erdmann (saxophone ténor et soprano), Régis Huby (violon, effets), Rémi Charmasson (guitare) et Christophe Marguet (batterie) (Label Emouvance/Distribution Abalone)

 

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« Mystical Way » par Claire Michael

 

La saxophoniste Claire Michael poursuit avec ce très beau « Mystical Way » son chemin. Qui fut lors de l’une de ses dernières productions, « Trane Steps », consacrée à sa façon tout à elle, à l’art de John Coltrane dont personne ne peut nier qu’il a – peut-être plus que tout autre – marqué non seulement l’histoire de l’instrument mais surtout le jazz, la musique tout entière aussi, voire la façon ou plutôt la manière d’être, d’être femme, homme, artiste.

Et précisément, si désormais Coltrane n’est plus ici la référence la plus présente (on découvrira cependant une sublime adaptation de « Love Supreme »), Claire Michael offre à chaque instant sa musique, son souffle, son âme pourrait-on dire. Peut-être est-ce bien ici que se situe sa « mystique » sauf si ce terme ne signifiait trop souvent tout autre chose que cette sorte de donation de chaque instant que la saxophoniste offre à qui l’entend son enthousiasme (étymologiquement « état de l’homme qui est habité par un dieu »).
Ce qui implique que, dès la première mesure du premier thème « Graceful Sun », l’on soit saisi jusqu’au terme de la douzième plage, intitulée « L’instant du bonheur » où l’on notera la dernière présence dans l’orchestre, de Raul de Souza, musicien brésilien à qui Claire Michael rendra hommage dans quelques mois dans son pays.

Pour ce décidément très beau, très émouvant, très personnel « Mystical Way » (Label Blue Touch/UVM distribution), Claire Michael est entourée par les excellents Jean-Michel Vallet piano, claviers), Zaza Desidero (Batterie, perc.), Patrick Chartol (basse, contrebasse), Hermon Mehari (trompette), David Olivier Paturel (violon sur « Lovely Bird ») et, comme il a été dit par le regretté Raul de Souza (pour un thème – voir plus haut).

 

 Claude Tchamitchian

« Leaps And Bounds » par Vicki Rummler

 

Il est bon parfois de faire une sorte de « pause ». En l’occurence d’écouter Vicki Rummler.

En remontant dans un passé relativement lointain (2019 si ma mémoire est bonne) on peut trouver une chronique de « Notes de Jazz » rendant hommage à la chanteuse américaine Victoria Rummler. Mais désormais Vicki a changé de répertoire se tournant vers ce que l’on pourrait qualifier de « folk music ». Mais « une folk » d’aujourd’hui, tant par l’inspiration, les thèmes et l’ouverture à des expériences non seulement contemporaines mais tournées aussi vers l’avenir ; une modernité certaine assurément.
En premier lieu il faut dire bien haut que ce « Leaps And Bounds » (Juste une trace/distribution physique Socadisc/distribution digitale The Orchard) nous offre quelque chose, tel l’immense sourire de la chanteuse, une sorte d’aventure paisible, inquiète parfois, mais toujours au plus près de la nature que l’on entend ici pour de bon (le son de l’eau qui court, le vent qui souffle et fait vibrer toute chose), qui habite chaque thème. Même si chacun d’eux exprime quelque chose de différent et de cohérent pourtant.

Vicki Rummler a composé, enregistré (guitare, piano, percussions, percussions de la voix aussi, et bien sûr de sa superbe tessiture de soprano) ce disque qui nous offre ainsi un immense moment de paix. Et un message assurément, celui de la beauté du monde. Si l’on y prend garde !

 

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« Frog’s Performance » par Six For Six/Malo Evrard

 

Voici un enregistrement qu’il faudrait que beaucoup qui aiment la musique entendent. Les six musiciens qui l’ont réalisé à la toute fin de l’année 2021, peu connus jusqu’ici mériteraient des étoiles, une palme, une médaille d’or ou surtout toute notre attention. Ils nous offrent, sous la direction artistique du batteur, compositeur (six des neufs thèmes) et arrangeur, Malo Evrard un moment de jazz de très haute valeur.

On peut en juger par la cohérence absolue de ce groupe dont tous les membres sont de magnifiques musiciens. Le saxophone de Sandro Torsiello, ténor et soprano au premier chef. Comme le piano d’Etienne Manchon, mais aussi la trompette d’Adrien Dumont (tous deux compositeurs d’un thème chacun), mais aussi le trombone d’Igor tAwrynowicz et le la contrebasse de George Storey.
Peut-être est-on emporté par ce qu’il y a dans Frog’s Performance (Anima Nostra) du meilleur de l’histoire du jazz (si tant est qu’il y ait dans ce « classement » une quelconque pertinence, une seule raison), mais l’on est ici comme en compagnie de Miles, de Cannonball, de Chet, de bien d’autres.
Pourtant, ce qu’il faut souligner ici c’est plutôt l’intemporalité, non pas de tel ou tel style, de telle ou telle musique, mais celle d’un groupe dont l’on entend d’abord l’intelligence, la maturité, la volonté incessante de se donner pleinement. Tout en maîtrisant, à tout instant, son propos.

 

artworks-afymayrzklibrqam-t29wxw-t500x500-copie-300x300 Malo Evrard

« Un arbre sur la Lune » par Chrystelle Alour

 

C’est à une sorte d’expérience musicale que nous invite Chrystelle Alour. Différente de celles que l’on trouve ici d’habitude.
C’est à un étonnement qu’elle propose de participer, celui d’une musique (jazz et samba) qu’elle invente et chante pour les enfants. Et, plus encore parce que pour huit titres sur les onze de cet « Arbre sur la Lune » (Vita productions) ce sont aussi les enfants eux-mêmes qui chantent avec elle !
Alors, on se dira que peut-être qu’il ne s’agit pas ici d’un véritable projet musical. Au sens le plus strict du terme en tout cas.
Certes, mais c’est tout autant un véritable enchantement que d’écouter Chrystelle et ses élèves. Un enchantement et oui, un émerveillement. Car il est bien évident que dans ce que l’on pourrait nommer « la naïveté » du propos, il y a, à l’origine, tout ce qui se trouve dans la musique la plus authentique, la générosité, l’empathie, l’amour même ! Il faut absolument croire Chrystelle Alour quand elle écrit : « 
Alors que nous vivons une époque si menaçante, les enfants ont besoin d’espoir et de rêves, de gaieté et d’évasion. »

Comme cela est sans doute vrai pour chacune et pour chacun d’entre-nous, il faut aussi que nous sachions nous émerveiller de ces voix enfantines et de cette belle et simple musique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Christian Lavigne : les secrets de la musique

 

Le nom de Christian Lavigne n’est peut-être pas très présent dans les mémoires de ceux qui aiment le jazz. Ce pianiste, en effet, a toujours été rare, ou plutôt d’une discrétion secrète, même au moment où il commença d’être reconnu, au milieu des années 70 d’un siècle que nous avons désormais quittés depuis plus de vingt ans. A cette époque Christian Lavigne jouait avec le groupe « progressiste », comme on disait alors, « Cossi Anatz » que Michel Marre avait créé sous un intitulé qui s’exprima parfois comme « jazz afro-occitan » !

 

Christian Lavigne est sans doute tellement habité par la musique qu’il n’a nul besoin de s’exprimer publiquement comme il aurait à coup sûr pu le faire tant son talent est immense. « Discrétion » et « secret », disions-nous : ils ont toujours été.

Pour l’avoir connu dès les années soixante, sur les bancs du lycée pour tout dire, Christian était déjà, élève brillant, mais ami secret, d’une extrême réserve, pourtant joyeuse.
En écoutant aujourd’hui sa musique, celle du disque qui vient de paraître et qui porte le beau titre de « Mountain Spirits » (Vent du Sud / Les Allumés du Jazz), c’est sans doute ce que l’on percevra : la merveilleuse discrétion, les secrets aussi d’éclats intenses.

 

 

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« Mountain Spirits » c’est une suite de quatorze titres, la plupart joués brièvement car il est bien possible que Christian se dise que l’insistance, en aucun cas n’est de mise.

Et voilà qu’on entend des choses simples, comme on pourrait dire « naturelles ». Mais elles s’expriment toujours avec une beauté pourtant inattendue, avec des phrases et des « mots », avec un langage que l’on comprend spontanément alors même qu’il est unique, déroutant, parcourant sans doute plus souvent qu’il n’y paraît, plus souvent qu’à son tour, des chemins de traverse.

 

Le propos de Christian Lavigne n’est sans doute pas celui d’un message qui nous dirait ceci ou cela, ceci plutôt que cela. Sa musique est bien davantage que cela, elle est une poésie. Non pas celle d’une forme littéraire transposée dans l’univers du jazz, de la musique, mais celle qui désigne autant que les mots peuvent le faire, la création elle-même.

« Mountain Spirits », si l’on pouvait, si cela avait un sens, le rapprocher de l’écriture poétique elle-même, ce serait peut-être celle de Bonnefoy ou celle de Jaccottet.

Mais pour se faire comprendre ou plutôt pour s’approcher au plus près des secrets qui assurément habitent ce grand musicien qu’est Christian Lavigne, on pourrait s’accorder mot à mot avec l’ultime phrase du texte de présentation de Xavier Prévost. On ne peut mieux dire que cela : « On ne se sent pas intrus, car ce poète bienveillant, toujours économe de son verbe, presque mutique, nous parle avec la musique. Il suffit de s’immerger, jusqu’à succomber à l’envoûtement. »

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Epilogue…

 

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« Epilogue » est le titre de cette chronique.

Celle-ci est sans doute (il ne faut jamais jurer de rien !) la dernière d’une longue série qui a débuté en 1974 sous le même intitulé de « Notes de jazz ». C’était pour un « grand quotidien régional » comme on disait alors.

 

Mettre un terme à une aventure de plus de quarante-cinq ans est sans doute une nécessité.

Ce dernier épisode prendra donc une forme un peu différente, rendant compte des dernières parutions qui sont parvenues jusqu’ici, de façon abrégée. Une manière, en quelque sorte, de ralentir la marche…

Je voudrais enfin remercier les musiciens et musiciennes qui, souvent, m’ont fait confiance. Et aussi les attachées de presse (parfois « attachés », mais rarement, il faut le reconnaître) dont le travail bien plus important qu’on ne le croit pour la diffusion de la musique, a toujours été fait avec professionnalisme, mais encore plus avec enthousiasme, compréhension (de quelques erreurs de ma part, quelques fois) et même amitié.

Pour mettre en place le point final à ces notes éparses, envolées depuis longtemps, voici donc la liste des dernières parutions qui nous sont parvenues.

 

 

  • Kristof Hiriart (p, composition), Jérémie Ternoy (chant, perc, composition) et Organik Orkestra : « Ritual » (Label LagunArte)

 

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  • Régis Huby (violons acoustique et ténor, électronique), Bruno Chevillon (b, électronique) et Michele Rabbia (dms, percussions, électronique) : « Codex III » (Abalone/L’autre distribution)

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  • Pierre Drevet (bugle, tp) et Claire Vaillant (chant), Francis Larue (g), Etienne Kermac (b), Fabien Rodriguez forment le Lilananda Jazz Quintet pour « Phares » (Lilananda/Inouïe distribution). Avec aussi sur un thème Johan Véron et Martial Boudrant (violons), Estelle Gourinchas (alto) et Thomaz Ravez (violoncelle)

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  • Thierry Eliez (p, chant, arrangements) propose « Sur l’écran noir » (Label Triton/L’autre distribution) sur des musiques de Michel Legrand et des textes de Claude Nougaro. Avec au chant : Alain Chamfort, Médéric Colignon, Stella Vander, Célia Reggiani, JP Nataf, Ceilin Poggi, Thomas de Pourquery, Paloma Pradal, Manu Domergue.

 

 

  • Robin Notte (rodhes, p, synthés, programmation), Alexandre Herichon (tp), Lucas Saint-Cricq (sax, fl, scratchs), Tao Ehrlich (dms), Pierre Elgrishi (b) forment le groupe Panam Panic pour « Love Of Humanity » (Melius Prod /Inouïe distribution)

 

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  • Le vibraphoniste Simon Moullier, le bassiste Luca Alemanno et le Batteur Jongkuk Kim proposent « Countdown » (Fresh Sound New Talent)

 

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  • La chanteuse Elise Dabrowski est accompagnée de Fidel Fourneyron (tb) et Olivier Lété (basse et basse préparée) pour « Parking » (Full Rhizome/L’autre distribution)

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  • Julien Behar (as,fy,électronique), Stéphane Decolly (elec b,fx), Christophe Forget (encre et pinceaux, dessin projeté en direct) nous proposent « Encre(s) Sonore(s). Mais il faudra attendre le 10/09/2021. (CD Zei production.)

 

 

  • Noé Clerc trio « Secret Place » avec en invités Vincent Segal, Habib Shehadeh Hanna et Vincent Peiriani jouent « Premières Pluies » (No Mad Music)

 

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  • Michel Meis quartet avec Théo Ceccaldi ont enregistré « Kaboon » (Double Moon Records)

 

 

  • L’excellent Paul Jarret joue  » Ghost songs » avec Josef Dumoulin, Julien Pontvianne et Jim Black pour Neuklang.

 

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  • Le tout aussi excellent Marc Ribot (g, chant) avec Shahzad Ismaily (b) et Ches Smith (dms) jouent « Hope » pour Yellowbird, distribué par L’autre distribution.

 

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  • L’universel André Ceccarelli avec Hadrien Féraud (b) et Sylvain Luc (g) (voir illustration introductive) et aussi avec Richard Bona, Sly Johnson, Alex Ligertwood, Bastien Picot, Walter Ricci ou Pierre Bertrand a créé « Eclectik », ce qui lui ressemble bien. (Cristal Records/Disquaire Day)

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  • « Tikkun », c’est Andrew Crocker (tp, voix), Jean-Michel Couchet (as, ss), Florent Dupuis (ts,fl, picc), Benoît Guenoun (ts,fl),Yoram Rosilio (b, compo, direction) et Raphaël Koerner (dms) dans une œuvre intitulée « Dawn Ceremony For Dreadful Days » pour Le fondeur de son.

 

 

Ajoutons enfin deux livres-disques :

 

  • « Je suis sur des braises en attendant ton retour » par Dominique Sampiero (acte de poésie et lettre ouverte), Sébastien Texier, Christophe Marguet quartet et Sylvie Serpix (dessins emblématiques – sic) chez Phonophone.

 

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  • « Artisticiel » dont le titre est forcément (comme l’essentiel de ce travail) dû à Bernard Lubat (p, voc) avec Gérard Assayag (ordinateur), Marc Chemiller (ordinateur) et George Lewis. Toujours pour Phonophone.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Onze musiques pour des temps nouveaux

La production de disques de jazz, au moins du point de vue artistique pour ne pas le dire du point de vue économique, ne semble pas particulièrement affectée par la situation actuelle. La création et la créativité sont toujours au rendez-vous et c’est bien sûr heureux ! Décidément le printemps est là avec aujourd’hui, dans un ordre d’apparition qui, (faut-il le préciser ?) n’a rien à voir avec un « classement » plus ou moins préférentiel. Il s’agit donc d’aller jusqu’au bout pour se faire peut-être une idée, en tout cas pour parcourir de façon pertinente ce qui nous a été offert à entendre. Bonne lecture (et bonnes écoutes). Et sans doute à bientôt dans les festivals, clubs et autres lieux et circonstances dédiés au jazz et à toutes les musiques…

On trouvera donc ci-dessous et dans le désordre (mais cités dans l’ordre ! – il faut suivre mais, parfois les partitons sont plus compliquées ou difficiles qu’il n’y paraît surtout dans le cas de musiques improvisées) : Hasse Poulsen & Thomas Fryland, Maurgo Gargano, David Tixier, Pierre Bertrand, Surnatural Orchestra, Daniel Gassin, Fabien Mary & The Vintage Orchestra, Sébastien Texier & Christophe Marguet, Dmitri Baevsky, Csaba Palotaï & Steve Argüelles et, pour finir Riviera.

 

 

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Hasse Poulsen : « Dream A World »

 

Avec Thomas Fryland (tp, bugle) le guitariste Hasse Poulsen signe un disque dont la musique est aussi claire et pleine de lumière que le message.
On sait depuis longtemps déjà le courage de ce musicien venu un jour de Copenhague et qui fait depuis longtemps déjà pleinement partie de notre univers. Le courage comme musicien mais aussi comme citoyen engagé. Engagé sans aucun doute, mais seulement pour la liberté. Et sans doute ne conçoit-il guère sa musique sans cette démarche. Et cette dernière sans être l’acte lui-même, celui de la musique, du chant, de l’improvisation. Avec son excellent compagnon Thomas Fryland il s’accorde pleinement. Et leurs musiques sont impeccables de clarté, portant en elles, à chaque instant un enthousiasme qui emporte.

 

« Dream A World » (label Das Kapital Records) commence avec les temps qui changent désormais, ceux de Dylan, ils se clôturent avec Louis Armstrong et Bob Thiele et un si beau monde. En passant par « El pueblo » de Sergio Ortega, Leonard Cohen et son « Hallelujah » (« Il y a une grâce de lumière dans chaque mot » dit le texte de ctte musique), l’Hymne à la joie de Schiller et Beethoven – rien de moins ! – Roger Waters, John Lennon, Boris Vian, Oscar Peterson…et quelques autres. Et des compositions signées Hasse Poulsen.

On peut se demander si cela fait un disque de jazz à proprement parler. Mais qu’est-ce donc qui serait propre au jazz ? (On pourrait d’ailleurs se souvenir ici que le mot « jazz », initialement, désigne plutôt quelque chose de « sale » – on se souviendra à ce sujet des lieux où sont les nés les premiers accords de cette musique, lieux qui n’étaient pas particulièrement « propres » aux yeux des bien-pensants ; mais bref…) Si ce qui fait le jazz c’est un « esprit » plutôt qu’une manière, qu’une façon déterminée une fois pour toutes de faire, de chanter, de composer, d’inventer, alors « Dream A World » est au contraire un enregistrement pleinement, entièrement, « jazz ». Et puis, qu’il le soit ou non, qu’en avons-nous à faire si cette musique est aussi belle que remplie d’espoir ?

 

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Mauro Gargano : « Feed »

 

La musique est sans doute une « nourriture ». Celle du bassiste Mauro Gargano et des autres membres du trio (le pianiste Alessandro Sgobbio et le batteur Christophe Marguet) est faite pour nous apporter bien plus qu’un instant de plaisir ou même d’évasion. Elle tend et tend ainsi à nous apporter quelque chose comme la force, le courage, l’énergie, les ressources qui font toute vie. C’est là une notion du partage qui mérite d’abord l’attention mais aussi, et au bout du compte, la reconnaissance. De la part des auditeurs que nous sommes. Entraînés ainsi cependant à être sans doute un peu plus : notre seule écoute devenant ainsi un échange. N’est-ce pas là tout ce que l’on peut attendre d’une invention, d’une création ? De la musique tout entière.

L’art du trio piano-basse-batterie est évidemment, dans l’univers du jazz, une référence. Comme telle pourtant, compte tenu de l’histoire qu’elle porte et emporte, l’assumer n’est pas si facile. Pour « Feed » (Diggin Music Prod/Absilone Socadisc) Mauro Gargano et ses amis sont allés chercher du côté de musiques aussi diverses et rares que celles de concertos pour piano de Prokofiev, de Craig Taborn, du rock de EL&P, de The Necks et Pat Metheny. Et aussi d’Ornette Coleman, Jim Black, The Bad Plus, Stefano Battaglia et bien d’autres. C’est hors des sentiers battus que se sont dessinées les voies de ce trio. Les emprunter avec lui, à ses côtés, c’est se nourrir d’une expérience nouvelle, souvent étonnante. Assurément passionnante. Elle se conclut sur un thème intitulé « Secret Garden » qui est, il faut le souligner, une improvisation dont les images variées ne cessent plus de surgir.

 

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David Tixier : « Because I Care »

 

Voici un autre trio piano-basse-batterie et l’on ne s’en plaindra pas tant cette « formule » est à la source des plus belles créations du jazz. Les trois protagonistes de « Because I Care » (Cristal Records/Believe – le tout en version digitale) sont couronnés de multitudes de prix prestigieux. Leurs techniques mais aussi leurs forces d’invention à eux trois sont époustouflantes. Le pianiste David Tixier est d’une habileté étourdissante. Jérémy Bruyère le bassiste hors normes que l’on connaît bien. Quant à Lada Obradovic que l’on avait vu dans « The Eddy », une série Netflix, il y a quelques mois, en batteuse de jazz au look punk et au caractère bien trempé – elle traversait l’écran – se révèle ici aussi fascinante, à la fois par sa « présence » et son originalité mais aussi par sa « discrétion » ce que d’autres « drummers » ignorent parfois un peu.

Restent les trois interventions du chanteur David Linx, lui aussi titulaire de nombreux et prestigieux prix. Comme, à titre personnel, je n’ai eu que peu d’occasions de l’apprécier véritablement, je suis obligé de souligner que cet enregistrement, sauf sur le plan de la notoriété peut-être, n’a pas vraiment gagné à inclure du jazz vocal dans son programme. D’autant plus qu’il semble que ces trois pièces ne soient pas parfaitement en harmonie avec l’esthétique du groupe.

Dont il faut dire en revanche qu’elle mérite le détour, je veux dire l’attention, toute l’attention. Car il y a ici une aventure qui s’annonce : complexe, multiple, d’une richesse magnifique.

 

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Pierre Bertrand : « Colors »

 

Le flûtiste et saxophoniste Pierre Bertrand a raison ! Les couleurs et les notes ont à voir ensemble. Pareillement ou presque. Lorsqu’on veut faire partager par les mots, par la langue parlée ou écrite, un tableau ou une musique on sait bien – les « critiques » ne font que ça ! – que l’on utilise les termes de la musique pour parler de peinture et réciproquement. Quand, évidemment, les deux vocabulaires ne se mêlent pas presqu’à chaque instant.

Pierre Bertrand (flûte, sax) a ainsi conçu une musique dont chaque thème s’appuie sur un tableau de l’un de ses amis, le peintre Jean-Antoine Hierro. Il nous offre ces huit pièces avec un groupe composé de André Bergcrantz (tp), Pierre-Alain Goualch (p, Fender Rhodes), Christophe Wallemme (b) et Laurent Robin (dm).

Après un premier thème parfaitement réussi, on peut se poser la question de savoir si la formule du quintet était la meilleure pour atteindre ce but. Question, il est vrai audacieuse lorsqu’on n’est pas musicien soi-même.

Pierre Bertrand a eu une intuition tout à fait passionnante : la musique et les couleurs ou peut-être plutôt la peinture, sont voisines, sœurs et peut-être même encore plus proches que cela – comment le dire ? – car c’est l’émotion qu’elles suscitent toutes deux qui en fait la richesse et la raison tout entière.

« Colors » (Cristal Records/Sony Music Entertainement) est plus qu’une leçon d’esthétique, tout simplement un beau moment de musique, pleins de rêves en couleurs multiples.

 

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Surnatural Orchestra : « Tall Man Was Here »

 

Voici un drôle de qualificatif pour un orchestre, celui qui consisterait à le considérer comme « surnaturel ». La musique (ou bien une certaine musique) ne serait pas « naturelle », de l’ordre de la nature. Ce sont les écologistes qui ne vont pas être contents. Ils devront peut-être surtaxer la musique et les musiciens et tous ceux qui en vivent. C’est-à-dire chacun de nous. Alors « surnaturel » ou peut-être comme « au bon vieux temps » « surréaliste » l’orchestre ? En fait, ce qui est bien c’est que l’on s’en moque. Parce que franchement, la musique elle nous transperce, elle nous fait vivre, elle est comme notre vie comme on disait plus haut, elle est la vie. Et s’il y a bien un orchestre qui nous le montre avec une énergie et une inventivité un peu provocatrice et donc, précisément, vivifiante, c’est le « Surnatural ». Un peu, comme en son temps, en d’autres temps, lointains, il y a plus de quarante ans, un demi-siècle même peut-être, le déjanté, rigolard, mais si inventif, si « bouleversant » « Wilhem Breuker Orchestra ». « Bouleversant » et donc « Surnatural » avant la lettre en quelque sorte. En préfiguration. Même si ici « Tall Man Was Here » (Collectif Surnatural) est bien de son temps, d’aujourd’hui s’il faut le dire pour que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas d’un quelconque « revival » d’une musique d’une époque révolue. D’ailleurs – et c’est un autre point commun avec Wilhem Breuker » – il y a ici une dimension théâtrale, voire même littéraire. Qui est bien plus structurée que chez ce prédécesseur (il y en eut d’autres). Il y a chez « Surnatural » du drame, de la tragédie et donc, de la « comédie ». Dans la musique comme dans sa mise en scène, en œuvre, en joie, en vie.
Il est à noter que « jouer collectif » développe l’imagination et la création. Ainsi, ce n’est peut-être pas essentiel, mais c’est néanmoins quelque chose de très heureux et qu’il faut souligner : le Cd est présenté dans une belle boîte en bois, toute noire. A l’intérieur, outre le livret et le disque, on pour utiliser la craie blanche pour écrire sur la boîte comme au tableau des écoles d’autrefois et apporter ainsi sa propre pierre à cet édifice où l’enthousiasme domine.
Pour connaître le nom des musiciennes et des musiciens, toutes et tous « surnaturel.l.es », il faudra aller sur le site www.surnaturalorchestra.com

 

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Daniel Gassin : « Change Of Heart »

 

Le pianiste Daniel Gassin est un personnage multiple. S’il est à la fois américain par sa mère il est français par son père. Mais il a grandi en Australie. Il est musicien mais il est aussi avocat et s’il est aujourd’hui en France il a débuté sa carrière à Melbourne. Pour autant sa musique, celle que l’on découvre ici dans « Change Of Heart » (Jazz Family/Socadisc) n’a rien de véritable étrange, étrangère encore moins. Même si elle est mêlée d’influences multiples, ce qui n’a rien d’étonnant, on en conviendra aisément avec un tel parcours. Daniel Gassin a surtout réussi cet enregistrement avec la présence de l’étonnante chanteuse new yorkaise Alicia Moses qui apporte ici des couleurs singulières soulignées souvent par l’excellent guitariste Josiah Woodson. Damien Françon et Fabricio Nicolas-Garcia tiennent respectivement la batterie et la basse et complètent ainsi une formation très homogène et structurée. Brillante souvent, notamment, il faut le redire, du fait de la guitare et du charme maîtrisé, mesuré des parties chantées. Comme de la belle articulation du piano de Daniel Gassin. Une version délicate du « Naima » de Coltrane répond à merveille aux belles compositions du leader.

 

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Fabien Mary and The Vintage Orchestra : « Too Short »

 

Un big band comme on n’en fait plus ! C’est à peu près ainsi que l’on pourrait définir ce « Too Short » de Fabien Mary. Lequel ? De Buddy Rich, de Gil Evans ou de Thad Jones & Mel Lewis par exemple. Mais sans doute que des spécialistes pourraient contredire ces références. Il faudrait demander à Fabien Mary (tp, compositions, arrangements) et peut-être à ses acolytes du Vintage Orchestra (dirigé par Dominique Mandin), Michael Ballue, Jerry Edwards, Florent Gac, Michael Joussein, Malo Mazurié, Andrea Michelutti, David Sauzay, Thomas Savy, Olivier Zanot et Yoni Zelnik. Qui sonnent comme s’ils étaient deux fois plus nombreux.

« Too Short » (Jazz &People/Pias) nous offre une musique faite d’enthousiasme et qui est effectivement « vintage », qui sonne comme « au bon vieux temps » des grands orchestres que la crise économique avait contribué à faire plus ou moins disparaître, ouvrant ainsi une brèche que les »combos » et autres duos, trios et autres quartets ont alors comblé.

En tout état de cause Fabien Mary, le Vintage Orchestra et ce « Too Short » suscitent ou ressuscitent des émotions jamais éteintes.

 

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Sébastien Texier & Christophe Marguet : « We Celebrate Freedom Fighters »

 

On aura compris que le titre de cet album, « We Celebrate Freedom Fighters » (Cristal Records/distribution digitale Believe) recouvre une musique-programme. Dont le but est de rendre hommage en l’occurence à dix personnalités qui ont combattu toute leur vie et sans relâche à la liberté.

Un tel « projet » a ceci de risqué c’est qu’il veuille trop en dire. Qu’il prétende décrire quelque chose, que la musique ait comme l’ambition de parler avec des mots, de raconter quelque chose, de « dire ». Ceci ou cela.
Mais on peut être assuré qu’il n’est rien de cela ici. Chacun des onze thèmes (dix sont dédiés aux héros de la liberté choisis par Sébastien Texier et ses amis, le onzième est, disons, « collectif », s’adressant à eux tous.

On comprendra donc que la musique qui nous est offerte ici est une musique de liberté, qui chante la liberté et peut-être encore davantage la libération. Qui n’est sans doute rien d’autre que le fondement de la liberté elle-même.
On ne peut pas ne pas citer les dix « figures » qui ont été retenues par les musiciens. Ce sont Claudia Anjar, Aimé Césaire, « l’inconnu de Tian’anmen », James Baldwin, Louis Coquillet, Gisèle Halimi, Rosa Parks, Sitting Bull, Olympe de Gouges et Simone Weill. Il n’y a aucun intérêt à analyser ce choix. Ce qui importe c’est de l’avoir accompli avec la même certitude – on peut sans doute employer ce terme – que Sébastien Texier (as, cl), Christophe Marguet (dm), Manu Codja (el g) et François Thuillier (tuba) s’impliquent dans leur musique, dans la musique.

 

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Dmitry Baevsky : « Soundtrack »

 

Quel est dans l’univers du jazz l’instrument qui peut être le plus élégant, le plus fin, le plus subtil et permettre aussi toutes les inventions ? Je répondrais qu’il s’agit du saxophone alto. Regardons son histoire et on devrait en être convaincu. Bien sûr on pourrait répondre autrement et peut-être même par le ténor. Tout dépend des références que l’on prendra. Peut-être aussi de la façon dont nous écoutons, dont nous entendons, de notre histoire personnelle et pas seulement musicale.
Et, s’il y a bien aujourd’hui un altiste qui peut nous enchanter c’est Dmitry Baevsky. Sans doute n’a-t-il pas à ce jour inscrit encore son nom dans la grande histoire du jazz. Mais est-ce même bien nécessaire ? Au cas où il n’aurait ni la volonté de le faire, ni l’occasion, ni même, disons la dimension, franchement il me semble que l’on peut bien se moquer de tout ça. Et même peut-être est-ce dans une certaine mesure nécessaire pour apprécier sa musique comme il se doit, c’est-à-dire tout simplement telle qu’elle s’offre à nous. Dans sa simplicité, sa clarté, sa beauté spontanée, elle est là tout simplement. Et c’est cela qui est important. Souvenons-nous de Paul Desmond ? Avec ou sans Dave Brubeck. Dont on a dit et écrit beaucoup de mal. Parfois avec quelques raisons. Mais nul n’est parafait. Sauf qu’une certaine légèreté est un don rare. Et que la musique de « Soundtrack » (Fresh Sound Records/Socadisc) est de celles-ci. Légère sans doute, non pas comme une petite chose en passant, comme quelque chose sans importance, qui n’aurait pas de sens, mais comme un nuage dans un ciel clair, dessinant un paysage qui apparaît et puis s’efface bientôt, comme une fleur qui bientôt disparaîtra, toutes choses qui sont les bonheurs du monde.
Dmitry Baevsky a déjà derrière lui un long et très beau parcours. Parce que jouer avec Benny Green ou Jeremy Pelt ou Cedar Walton n’est pas donné à tout le monde. Et ceux qui l’accompagnent ici sont de la même « trempe » : Jeb Patton (p) qui, lui, a joué avec les Heath Brothers, David Wong (b) et Pete Van Nostrand (dm). Un si beau moment de musique. Faite pour rêver ou pour vivre. Ce qui est sans doute la même chose.

 

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Csaba Palotaï & Steve Argüelles : « Cabane Perchée »

 

Voici un enregistrement extraordinaire. Cette musique qui nous est ici offerte ne ressemble, à dire vrai, à rien. Ou à pas grand chose. Ou à peu de choses…

Il s’agit pourtant ‘une « adaptation », « transformation », « transcription », « recomposition » d’une partie des œuvres de Bela Bartok connues sous le nom de « Mikrokosmos » qui sont des études destinées aux pianistes. Pour autant les voici bouleversées, revisitées au point d’être chamboulées, renouvelées, réinventées. Et, comme elles-mêmes étaient déjà une sorte de synthèse, venues d’horizons divers, d’Europe centrale ou d’Amérique, de la musique de Bach ou du jazz on peut comprendre que cette « Cabane perchée » (BMC Records/Socadisc)a quelques portes et fenêtres qui, au travers des frondaisons, s’ouvrent sur plusieurs clairières.
Et, oui cette musique est souvent étrange. Mais voilà, elle n’est jamais « étrangère » – je veux dire « lointaine », inatteignable, comme si elle ne nous concernait pas. C’est tout le contraire. Chaque fois que le guitariste Csaba Palotaï, d’orignie hongroise (comme quelques autre bien connus, notamment en France, tels Elek Baksik, Gabor Szabo ou Gabor Gado aussi qui fut l’une des influences de Palotaï) – d’où sans doute la référence à Bartok – chaque fois qu’il développe un accord, une ligne mélodique, il nous envoie ad patres, à l’autre bout du monde. Quant à Steve Argüelles, lui aussi jouant ici de la guitare (et bien sûr de ses percussions ici toujours acoustiques, comme toutes les guitares de cet enregistrement), il n’est pas en reste, on s’en doute.
C’est ainsi que cette « Cabane perchée » nous offre une musique qui, non seulement ne provient pas de contrées lointaines, lointaines dans l’espace ou dans le temps, dans la culture ou les habitudes, mais au contraire du plus profond d’entre-nous.

 

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Riviera

 

Un seul titre ou un seul nom : le même et un seul pour désigner un quartet et son enregistrement de treize titres originaux. Aux influences venues de la musique tzigane, des Balkans, de la Sicile (sur un thème d’Ennio Morricone), du ska, du jazz, du blues et, au final, de tous les horizons. Et, tout cela, avec une esthétique épurée, toujours séduisante, parlant au cœur, et disant de la beauté qu’elle est toujours là si l’on y prête attention. Attention, précaution, comme le font les quatre protagonistes de ce disque qui est bien plus que quelques pièces qui ne seraient que douées d’une beauté, d’une forme pourrait-on dire, mais qui ont ce mérite de nous parler, de nous faire partager les émotions qui les ont fait naître. Le tout étant entre les mains de musiciens qui maîtrisent assurément leurs techniques, qui s’écoutent parfaitement, juste ce qu’il faut pour créer un ensemble, c’est-à-dire un groupe dont chaque membre soit assuré de l’autre mais pas parce qu’ils ne se seraient rendus sourds à ce qui les entoure. C’est tout l’inverse : parce qu’ils veulent s’adresser à nous et parce qu’ils nous parlent.
Il faut ici souligner la qualité, l’originalité et les couleurs multiples qui jaillissent avec bonheur des compositions du contrebassiste Stéphane Bularz et du violoniste alto (et aussi joueur de mandoline ou organiste) Olivier Samouillan (un ancien de la Berklee School Of Music de Boston, passé aussi par New York et plus extraordinairement par l’orchestre philharmonique de Macédoine). Le groupe Riviera (ici pour le label Art Mélodies/Absilone) est aussi composé de deux autres excellents interprètes, le guitariste (acoustique et électrique) Jérémie Schacre et du batteur Guillaume Chevillard.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Festivals et musiques en temps de pandémie

Pour ouvrir cette chronique, toujours en temps de pandémie, il faut se précipiter sur les bonnes nouvelles.
Des « bonnes nouvelles » nous en avons souvent avec les enregistrements que nous choisissons de partager ici.

Afin de ne pas nous disperser nous avons été jusqu’alors peu diserts concernant les festivals pourtant habituellement (lorsque la Covid-19 n’est pas présente) nombreux.
Mais aujourd’hui nous sommes en quelque sorte rattrapés par l’enthousiasme d’une équipe d’organisateurs qui lance son premier festival de jazz ! Qui plus est, à coup sûr, à un moment où nous ne serons pas encore sortis d’affaire sur le plan sanitaire : au début du mois d’avril qui arrive.

Cela se passera à Noyon, charmante cité du département de l’Oise, d’environ 15 000 habitants, au nord de Compiègne et Soissons, pas très loin d’Amiens, Saint-Quentin et Laon. (Comme nous avons des lecteurs, que je salue au passage, qui habitent non seulement « aux quatre coins de l’hexagone » ! mais même au sud soit à 1000 km de Noyon au moins, il vaut mieux préciser.

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Il vaut mieux aussi rappeler que le département de l’Oise est actuellement « confiné » (à moins que Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement ne nous dise autrement ce que personne ne veut dire. A moins aussi que le ministère de l’Intérieur n’édite une nouvelle attestation permettant de se rendre à Jazz à Noyon ou même qu’il s’agisse désormais d’un motif impérieux, sinon même impératif ce qui serait mieux pour tout le monde.)
En tout cas, et de façon très sérieuse, joyeuse cependant, ce qui n’est pas toujours contradictoire, il faut saluer cette initiative.
« Jazz in Noyon » se déroulera sur deux week-ends (les 9-10 et 11 avril et les 16-17 et 18 du même mois). Il y aura cinquante-neuf artistes (parmi lesquels Jacky Terrassson, Leïla Martial, et quels noms très connus et tout aussi talentueux) plein de concerts donc, des jam-sessions, des master-class, des apéros. Bref, une fête ! Tout ça, au cas où cela serait nécessaire, sera sur le net (et sans doute quelques soient les circonstances.)
On saura tout en allant ici : https://jazzinnoyon.fr/programmation-globale/

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Si l’on est un peu plus patient (ça se passera du 9 au 12 juin), si l’on est un peu plus sudiste que nordiste on pourra se réjouir de la programmation du vingtième anniversaire du festival « Jazz en Pic Saint-Loup (cette fois, je précise aussi pour nos honorables lecteurs qui n’auraient pas gravi encore ce sommet qui culmine fièrement à 658m d’altitude et qui domine la campagne autour de Montpellier (pour les habitants de Noyon, précisons que Montpellier se situe dans le département de l’Hérault à quelques kilomètres à peine de la Méditerranée qui, si elle est bonne fille, peut être déjà accueillante aux baigneuses et baigneurs en ces jours du mois de juin – ainsi on pourrait le même jour se baigner dans les flots bleus, se laisser envoûter par Richard Galliano, Paolo Fresu, Vincent Peiriani, Jan Lundgren, Michel Marre ou encore Emile Parisien, puis retourner à minuit (ou plus tard) retrouver les eaux douces de mare nostrum.

On saura tout en allant cette fois ici : https://www.jazzajunas.fr/festival-jazz-en-pic-saint-loup/

 

Et maintenant treize enregistrements à découvrir. Et qu’on ne dise pas que ce chiffre ne porte pas bonheur : allez jusqu’au bout de cette chronique…personne ne sera déçu ! Au moins par la musique.

Pour ce qu’il en est des « papiers », c’est bien sûr une autre histoire.

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Edward Perraud : « Hors Temps »

C’est avec Arnault Cuisinier (b) et Bruno Angelini (p) mais aussi avec Erik Truffaz (tp) pour deux thèmes que le compositeur et batteur Edward Perraud signe « Hors Temps » (Label Bleu/L’autre distribution).

Edward Perraud est avant tout un chercheur, un inventeur, un musicien imaginaire, ou plutôt de l’imaginaire. Sans doute est-il même un musicien-penseur, ce qui n’est pas si rare si l’on s’en tient toutefois aux plus immenses d’entre-eux, à quelque moment de l’histoire de la musique on puisse se référer.
« Hors Temps » nous emporte dès les premières mesures « hors sol », « hors piste », « hors la loi », comme il le dit lui-même, puisque ce sont-là des titres qu’il a retenu aux côtés de « Chien lune » ou de « Firmament ».

Edward Perraud a ce pouvoir de nous faire nous dépasser nous-mêmes, à nous extraire du monde qui est le nôtre, du monde qui est là devant nous, où nous nous trouvons et qui nous désespère en ce sens que nous en sommes coupés, tout en en faisant partie. Comme s’il s’agissait d’un monde perdu. Et alors que, ni l’espace qui nous entoure, ni la temporalité qui s’écoule ne peuvent nous parler totalement. C’est seulement sans doute l’instant qui pourrait le faire, parce que personne ne peut en savoir la durée si infime soit-elle, puisqu’il est une éternité qui ne se mesure pas davantage et que tous deux ont ce pouvoir de nous ramener à nous-mêmes.

C’est ce que fait, ou ce que semble dire cette musique. Souvent. Peut-être pas aussi bien à chaque fois. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes nécessairement, fatalement si l’on peut dire, sensibles à ceci plutôt qu’à cela. Et puis le temps qui s’écoule aussi, dont nous portons le rythme en nous, ce temps change et nous avec lui. Mais Edward Perraud est un musicien hors normes, cela est certain. Il est l’un de ceux qui ne se laissent pas prendre aux modes, mais de ceux qui construisent leur musique comme une pensée. A l’inverse ou à rebours de tout intellectualisme. En faisant en sorte que la vie, soudain, vibre comme le rythme et la musique tout entière.

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Shijin : « Theory Of Everything »

Le quartet Shijin revient avec un deuxième album après un premier opus en 2018. Il est composé autour du bassiste Laurent David, de Malcom Braff (p, Rodhes, CP70), Stéphane Galland (dm) et Stéphane Guillaume (sax, fl) et se présente comme « quartet européen ». Mais peut-être est-il bien plus que cela.

Sans doute cette musique est-elle le fruit d’un travail préparatoire considérable mais voici qu’elle se présente à nous comme si elle était spontanée et même à l’image d’une certaine familiarité. Ce qui, pour quelque chose dont on a du mal à dire à quoi cela pourrait bien ressembler, est un comble.

Les couleurs sont infinies, non seulement dans leur palette, mais aussi dans ce que l’on pourrait appeler leur durée, se superposant les unes aux autres, s’entremêlant, se révélant au même moment.
Souvent « Shijin » nous comble avec sa « Theory Of Everything » (Bandcamp/Socadisc distribution).

 

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Stéphanie Lemoine : « Love Leaves Traces »

C’est avec une sorte d’audace, d’énergie, d’enthousiasme que se livre la chanteuse Stéphanie Lemoine dans ce « Love Leaves Traces » (Mix Up Jazz/Inouïe Distribution). Chanteuse mais aussi compositrice et auteure de neuf des treize plages de son deuxième enregistrement (après « Sweet Talk » en 2013.)

Certes, Stéphanie Lemoine passe parfois d’un style ou plutôt d’une registre ou d’un genre à l’autre. Mais c’est toujours comme par magie : on retrouve ici et là, à tout instant, le même monde. Celui précisément qu’elle nous dit par cette force que l’on ressent dès les premières notes et qui emporte tout. Alors, au fil de ce courant, souvent rapide, presque comme un torrent toujours transparent on prend appui avec autant d’aisance et de bonheur sur quelques standards (« Body And Soul » ou « My Romance » par exemple) ou bien alors dans l’un des thèmes quelle signe elle-même comme « Morning », « Sunset Town » ou encore le titre éponyme.)

Il y a beaucoup de musiciens autour de la chanteuse. Et même un quatuor à cordes. Cet ensemble convient bien à la dynamique évoquée ici. Mais comme il serait intéressant d’entendre Stéphanie Lemoine en quartet ou même dialoguant avec un piano. Souhaitons surtout que nous n’attendions pas aussi longtemps que les sept ou huit ans qui nous ont séparé de « Sweet Talk », son précédent opus.

 

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Ismaïl Sentissi trio : « Genoma »

C’est une fort belle découverte que cette musique du pianiste et compositeur Ismaïl Sentissi qu’il offre avec une sorte de générosité, d’abandon presque, du sens du bonheur qui ne peut que se partager. « Genoma » (Jazz Family/Socadisc) réunit autour du pianiste deux musiciens de grand talent : Maurizio Congru à la contrebasse et le très élégant Cédric Bec à la batterie. Les plus exigeants des auditeurs et amoureux de l’art du trio (auquel les « Notes de jazz » vouent une passion) peuvent être assurés qu’ils ne seront pas déçus par l’harmonie qui règne entre les trois comparses, par leur manière de jouer, leur façon aussi parfois de faire comme s’ils y avait entre eux une sorte d’émulation. Mais ils n’ont pas à se chercher (quel que soit le sens que l’on pourrait attribuer à cette formule) car leur unité est sans doute l’une de leurs forces les plus sûres.
L’autre point d’équilibre du trio c’est sans doute l’art du pianiste et en particulier ses compositions dont on ne peut dire à quoi elles ressemblent vraiment, sauf qu’elles parlent, qu’elles nous disent mille choses, qu’elles murmurent parfois, qu’elles pourraient aussi nous entraîner dans une danse. Ismaïl Sentissi nous dit ici que le monde qui nous entoure, que nous parcourons, si l’on y prend garde est de la même nature que celui qui vit au fond de nous et qui n’est rien d’autre que nous. Il y a dans cette musique une recherche poétique qui en fait un moment rare. A partager sans doute.

 

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Tristan Melia : « Mistake Romance »

Voici un bel exercice que celui du piano solo de Tristan Melia. Mais bien mieux qu’un exercice, c’est une réussite car c’est tout simplement plus qu’un ouvrage, c’est d’une œuvre tout entière qu’il s’agit.

Et ce n’est pas parce qu’il va à la rencontre de quelques standards (« Soul Eyes » de Mal Waldron, « Someday My Prince Will Come » de F. Churchill ou encore le magique « The Nearness Of You » de Carmichael) qu’il n’est pas un compositeur remarquable. Bien au contraire, ce grand instrumentiste qu’est Tristan Melia est aussi un « écrivain » au point que l’on aimerait bien que quelques-uns de ses titres deviennent eux aussi des références (« Only My Heart », « Enfance »…)
Tristan Melia n’a pas trente ans et si sa reconnaissance publique n’est peut-être pas encore à la hauteur de son talent souhaitons lui là aussi le meilleur.
Avec ce très limpide, très lumineux « Mistake Romance » (Jazz Family/Socadisc) il nous offre la plus touchante et heureuse des musiques.

 

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Laura Prince : « Peace Of Mine »

Peut-on douter que Laura Prince ne trouve pas sa place dans l’univers qui est le sien, celui d’une musique qui se donne à chaque instant ? « Peace Of Mine » est son premier enregistrement (CQFD/L’autre distribution) réalisé avec enthousiasme, un enthousiasme communicatif. Mais aussi avec une grande sensibilité dont toute la musique originale est parcourue incessamment. Il faut dire que Laura Prince s’est fort pertinemment entourée de Grégory Privat et de David Sonder pour les musiques, arrangements et paroles.
On notera comme chez Stéphanie Lemoine la présence d’un quatuor à cordes, outre le piano de Grégory Privat déjà nommé, de la contrebasse de Zacharie Abraham, de la batterie de Tito Bertholo et des percussions de Inor Sotolongo.

 

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Matthieu Chazarenc : « Canto II »

On trouve dans ce premier enregistrement sous son nom du batteur Matthieu Chazarenc tant d’échos qui sont proches du jazz ou du moins de tout ce qu’il peut être dans son parcours sans fins et presque sans obstacles qu’il est difficile de ne pas lui faire écho. Tout d’abord « Canto II » (Cristal Records) est l’oeuvre de ce que l’on pourrait appeler une formation de jazz : Sylvain Gontard au bugle, Christophe Wallemme à la contrebasse et Laurent Derache à l’accordéon. Sans oublier l’excellent Sylvain Luc à la guitare.

Il y a dans cette musique composée pour l’essentiel par Matthieu Chazarenc un lyrisme constant, de très belles couleurs, que ce soit celles de l’accordéon, du bugle ou de la guitare. Et cela est un grand plaisir, la rythmique étant elle aussi d’une belle subtilité.
On devra cependant avouer que « Garona », la dernière pièce de cet enregistrement n’a rien à voir avec le jazz et qu’elle plaira davantage à nos amis toulousains, occitans qu’aux inconditionnels du Texas.

 

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Fred Escoffier & Palm Unit : « Figures »

Voici un autre enregistrement dont on pourrait parfois se demander ce qu’il vient faire ici. Mais ce ne serait somme toute qu’une bonne question. Qui remettrait peut-être en cause ce qu’est le jazz. Puisqu’il n’est pas un genre musical mais qu’il n’est pas non plus absolument « passe-partout ». Toutefois, il ne faut pas regretter, quand on aime le « jazz », de laisser ses oreilles ou plutôt ses neurones explorer des territoires étrangers. Si quelques-uns , un jour, ne l’avaient pas fait, le jazz n’existerait pas. Et puis, quand dans un enregistrement il y a le saxophoniste Lionel Martin on sait que l’on peut s’attendre à tout. C’est-à-dire surtout au meilleur. Et, comme il y a aussi Philippe Pipon Garcia à la batterie et Jean Joly à la contrebasse pour accompagner le piano et la voix de Fred Escoffier, eh bien il est comme normal que l’on découvre un monde étrange, suffisamment inexploré jusqu’alors pour ressentir de nouvelles et enthousiasmantes émotions.

Il paraît que « Figures » (Cristal Records/Inouïe Distribution/Believe) s’inspire du rock, d’Elvis lui-même et du maître David Bowie en personne. Et alors ? C’est ainsi que la musique est heureuse quand elle naît sur des terres fertiles et que des musiciens qui ont, si j’ose dire, l’esprit d’entreprise (pardon ! « L’esprit entreprenant », c’est mieux ainsi!) s’en emparent.

 

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Avishai Cohen : « Two Roses »

Dans son dernier enregistrement le contrebassiste Avishai Cohen et ses ami Elchin Shirinov (p) et Mark Giuliana (dm) nous envoient à leur manière, souvent magistrale, le plus souvent, loin du jazz. Dans la plupart des thèmes de « Two Roses  » (Naïve/Believe) on se sentira plus près d’une musique « classique » en sachant que le Gotheburg Symphony Orchestra dirigé par Alexander Hanson est ici très présent. Mais c’est aussi pour d’autres raisons sans doute.
Si Avishai Cohen présente « Two Roses » comme « le projet d’une vie » on entend bien qu’il mêle ici tout ce qui fait son univers et que celui-ci est multiple. Musicalement s’entend. La Méditerranée est elle aussi très présente et si le jazz l’est aussi (mais finalement peut-être moins, même si ceux qui l’aiment avant tout reconnaîtront des thèmes comme « Nature Boy » popularisé initialement par Nat King Cole ou  » A Child Is Born » de Thad Jones) l’orchestration dissipe un peu toutes les composantes de l’âme du contrebassiste dans une sorte de synthèse que quelques grands jazzmen du passé ayant tenté l’aventure « symphonique » n’avaient pas su éviter davantage (pas plus Bill Evans que Wes Montgomery…et pourtant.) Il sera donc beaucoup pardonné. Car « magistrale » toutefois est cette tentative. Avec le risque que l’on courre toujours dans de telles situations.

 

Marco Vezzoso & Alessandro Colina : « Italian Spirit »

Cet enregistrement a plusieurs mérites. Mais tout d’abord il faut souligner le travail du label Art In Live qui s’est lancé dans des conditions difficiles et qui semble se trouver sur une heureuse trajectoire au moment où cependant les concerts et festivals sont devenus les oubliés de notre monde. (voir plus haut la contradiction la plus radicale – encore que ! – à ce propos.)
La réussite d’un beau disque comme celui-ci c’est d’abord bien sûr la musique elle-même et donc les musiciens mais ce n’est pas une révélation si l’on y ajoute tout le travail éditorial, toue la technicité, le métier pourrait-on dire, la capacité créative aussi de tout un univers professionnel.
Quant au trompettiste Marco Vezzoso et au pianiste Alessandro Colina ils nous livrent ici des versions très personnelles de musiques italiennes populaires, des chansons, disons-le tout net, que certaines nous connaissons, d’autres sans doute moins. Dire que tout cela est spécifiquement jazz, ce serait mentir. Mais la liberté, l’imagination, l’audace parfois, avec lesquelles ces deux musiciens se sont lancés pour explorer et surtout pour nous offrir cet « Italian Spirit » (Art In Live/Inouïe distribution) vaut mieux de notre part qu’un simple détour, un long moment d’attention. Et accordons une mention spéciale à la chanteuse Marie Foessel ainsi qu’au chanteur Andrea Balducci.

 

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Hubert Dupont : « Trio Kosmos »

C’est une « riche idée » que ces trois-là se soient réunis pour ce disque hors les chemins balisés sous le seul titre de « Trio Kosmos » (Ultrabolic/Musea). Ils sont faits pour s’entendre et donc pour être écoutés et entendus, compris, devrais-je dire.
Le bassiste Hubert Dupont, le trompettiste Antoine Berjeaut et le batteur et percussionniste Steve Argüelles ont certainement des conceptions très proches de la musique qu’ils veulent inventer, jouer et délivrer.

C’est dire qu’il y a dans ce « Kosmos » des mondes nouveaux, souvent fascinants, toujours remplis de merveilles, d’audaces. Mais sans provocations, sans pour autant que beaucoup de bruit soit nécessaire (ce qui est parfois pour rien). On voyage ici d’univers en univers avec bonheur et jamais on ne se lasserait un seul instant.

 

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Julien Brunetaud trio : « Feels Like Home »

Voici un retour à un jazz, disons-le sottement, « plus jazz » sans doute. Certainement plus traditionnel que la plupart des découvertes de cette chronique. Qu’y a-t-il donc alors qui fasse que tout d’un coup on se dise aussi que cette musique nous fait du bien ?
Très certainement le groove, les échos du blues que le pianiste Julien Brunetaud connaît fort bien, le swing, mêlés ensemble par une place vivante et vivifiante laissée à l’improvisation. Le tout empreint de belles sonorités, d’un enthousiasme que l’on entend et qui, du coup, comme il faut dire aujourd’hui, arrive jusqu’à nous.
Il y a trois ans après multiples périples entre la France et les États-Unis, l’Agenais Brunetaud est arrivé à Marseille. C’est là qu’il a fondé son trio avec le bassiste Sam Favreau et le batteur Cedric Bec.
Après avoir côtoyé BB King, Chuck Berry, Pinetop Perkins, joué au Chicago Blues Festival, avoir exploré cette musique avec succès (en 2007 il est « musicien de l’année » pour le Hot-Club de France après avoir été « meilleur pianiste blues européen » en 2005) il joue à New York avec George Cables, Aaron Goldberg et Junior Mance.
Et puis, voici la dernière étape de Julien Brunetaud. Il l’a façonnée de bout en bout. Il ne chante plus comme il le faisait sur tous ses enregistrements antérieurs. Mais il nous enchante. « Fells Like Home » (Fresh Sound Records/Socadisc) son cinquième disque peut revigorer tous celles et tous ceux qui par ses temps printaniers en auraient besoin. Allez savoir pourquoi ?

 

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Thierry Peala & Verioca Lherm : « A Tania Maria Journey »

Une autre source d’énergie – inépuisable – on la trouve ici dans ce voyage avec la musique de Tania Maria. Ce sont deux admirateurs de toujours de la grande pianiste et chanteuse brésilienne, Thierry Peala (voix, percussion vocale, « one finger piano » + « whistle) et Verioca Lherm (guitare, voix, percussions vocales, pandeiro, apito) qui, associés au percussionniste Edmundo Carneiro, qui nous entraînent dans un univers de musique tropicale si l’on pouvait le dire ainsi « envahissant » – ôtant à ce terme absolument toute connotation négative ou péjorative. Et même, bien au contraire ! C’est justement cette espèce de bonheur profond qui nous font vibrer avec délice dans un univers profondément chaleureux – et il ne s’agit pas que de la chaleur de l’air ambiant propre aux joyeux tropiques – mais bien plus de celle du partage, de l’union, de la communion vivifiante qui anime chacune et chacun d’entre-nous.

« A Tania Maria Journey » (Edyson Production/Inouïe distribution) devrait nous accompagner tous les jours, nous tous : le monde s’en porterait mieux…peut-être…mais nous, en tout cas, assurément !

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A partager

 

 

En ce début d’étrange année tout se passe ici comme si les difficultés, les douleurs, les empêchements et les entraves, les incertitudes suscitaient une sorte d’acharnement. A inventer, à découvrir et à se réjouir. Ce n’est assurément pas une raison pour se dire que « tout va bien ».
Mais c’est amplement suffisant pour accueillir et recueillir de bons et heureux moments. A partager.

 

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Denis Badault & Antoinette Trio : « Rhizomes »

 

C’est assurément ici la rencontre de musiciens enracinés. Non pas qu’il soient d’un clocher quelconque, d’une musique et d’une seule, mais parce qu’ils vivent tous, et chacun avec les autres, en symbiose toujours, dans leurs créations et dans leur art, dans leurs inventions, parce que celles-ci se nourrissent de la réalité, de la terre, de l’humus fertile dont elle est faite.

Le pianiste Denis Badault, chef d’orchestre, compositeur, inventeur, transmetteur, a rencontré les membres de l’Antoinette Trio (Julie Audoin, fl – Arnaud Rouanet, cl, voix et Tony Leite, g, voix). Ensemble ils ont rencontré eux-mêmes un autre musicien, pianiste, guitariste, compositeur, le Brésilien Egberto Gismonti et avec « Rhizomes » (Compagnie 3×2+1), nourris des compositions de ce dernier, ils ont alors inventé comme un nouveau souffle.

Souvenons-nous qu’Egberto Gismonti qui fut l’un des musiciens phares du label ECM dans les années 80 est avant tout un compositeur, formé à l’école de Nadia Boulanger et de la musique française du XX° siècle en même temps qu’il fut un inlassable briseur de frontières.

C’est dire que la tâche de « Rhizomes » est importante quand il s’agit de remettre ce grand artiste au premier plan et ardue sans doute, non pour la restituer, mais pour la faire vivre dans toutes ses dimensions souvent complexes, une complexité qui en fait précisément toute la beauté.
C’est un thème intitulé « Frevo » qui ouvre cet enregistrement (impeccablement réalisé) et nous place avec la flûte de Julie Audoin en introduction, immédiatement, au cœur, non pas d’une musique parmi d’autres, mais de ce que l’on pourrait appeler sans prétention aucune, « une grande musique ».

Denis Badault y déploie de bout en bout, non seulement son art du clavier, ses articulations de lumière, la densité de ses propos, mais aussi la puissance de ses inventions. La guitare de Tony Leite ne cherche pas à dupliquer celle de Gismonti mais elle est, tour à tour prépondérante, explicite, parfois plus discrète. Julie Audoin marque ici le point décisif de la musique de ce disque : la flûte accorde des clartés inouïes et trouve une place, explicitement centrale parfois, mais toujours essentielle. Rare exploit pour cet instrument, surtout quand la conception du projet musical n’est pas fondée sur elle. Quant à Arnaud Rouanet, il ne manque pas de souffle : on pourrait presque dire qu’il est partout. Certes pas pour occuper l’espace, ce n’est pas son genre. Mais il est toujours là, soit comme bassiste, soit comme celui qui « orchestre », autour duquel donc les autres planètes tournent un instant. Et comme il est sans doute l’initiateur premier de ces « Rhizomes » cela signe de sa propre invention, de sa propre signature, cette belle réussite. Collective assurément.

 

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Naïssam Jalal & Rhythms Of Resistance : « Un autre monde »

 

La musique de Naïssam Jalal est, en son origine-même, faite de d’horizons et de mondes différents. Avec ce double CD on se trouve sans doute à l’acmé de ce travail, non seulement par ce que l’on pourrait distinguer comme des juxtapositions, plus souvent parce que les fils de toutes les couleurs musicales, de toutes les cultures parmi lesquelles Naïssam Jalal trouve son inspiration, sont entrelacés et qu’il serait inutile de vouloir tous les identifier. Là se trouve la richesse, inépuisable alors, de cette musicienne et de son travail.
« Un autre monde » (Les couleurs du son/L’autre distribution) c’est ce que Naïssam Jalal espère, ce qu’elle veut, ce qu’elle contribue à inventer et à bâtir en récusant tous les excès, tous les travers, sans parler des souffrances et des horreurs, du monde contemporain. D’où ce grand projet de réunir toutes sortes de musiques. Et ici, notamment, des musiques de l’Orient, diverses, multiples, avec celles qui conviennent – au moins dans leurs structures – à un orchestre symphonique. Parce que c’est en rassemblant que cet autre monde, ce nouveau monde, peut advenir, pas en en définissant un comme idéal et en essayant de le réaliser, conforme à celui-ci.

Ce sont les rapprochements qui conditionnent la possibilité-même de cet « autre monde ». La musique est ainsi conçue comme ayant le pouvoir de rapprocher et par là d’inventer et de réaliser de nouvelles conditions de vie.
C’est là une grande ambition. Mais si l’on écoute bien toutes les sonorités, toues les couleurs de cet « autre monde » comment n’aurait-on pas envie de l’habiter ?

Autour de Naïssam Jalal (composition, fl, nay, voix), on trouve l’excellent saxophoniste (ts, ss, perc) Mehdi Chaïb, Karsten Hochapfel (g, violoncelle), Damien Varaillon (b) et Arnaud Dolmen (dm). Ce « Rhythm Of Resistance » est ici associé à l’orchestre national de Bretagne placé sous la direction de Zahia Ziouani.

 

130251412_3041849082711148_2878013849430067323_o-300x269 Antoinette Trio

Sandro Zerafa : « Last Night When We Were Young »

 

Il faut écouter cette musique telle qu’elle est : ce qui veut dire la recueillir, l’attendre pour l’entendre, la ressentir, la vivre en soi. Il y a des musiques qui sont ainsi. Quoi qu’elles fassent, quoi que certains puissent en penser, elles portent en elles un peu plus que ce que l’on pourrait croire. Elles ne sont ni des thèmes standards (ce qu’elles peuvent être, comme c’est le cas ici, de Cole Porter à Gerswhin en passant par Jerome Kern entre autres), ni des nouveautés éclatantes. Elles portent toutes une part, parfois infime, de secrets. C’est là que gît leur richesse. Et cette part, si minime soit-elle, est leur richesse. Elle est de l’ordre du sentiment, de ce que nous pouvons éprouver au fond de nous, de la sensibilité qui n’a besoin de rien d’autre que soi pour ressentir et apercevoir la beauté, la lumière, pour dire l’amitié, l’amour, la liberté. Allez donc du côté de « Young At Heart » (ce n’est qu’un exemple dans les onze thèmes de ce beau disque) de Johnny Richards et Carolyn Leigh et vous entendrez certainement quelque chose comme ça.
Sandro Zerafa qui nous offre ce beau voyage avec cette « Last Night When We Where Young » (soit en duo avec le piano de Vincent Bourgeix, soit en trio avec le contrebassiste Yoni Zelnik et le batteur Antoine Paganotti – Label PJU) s’affirme comme un guitariste de premier plan. Parce qu’il est un très bel instrumentiste mais bien plus encore parce que c’est ce qu’il nous offre, avec des musiques toutes très belles, auxquelles il apporte plus qu’une couleur qui lui serait propre, une sorte de poésie intérieure qui fait de chacune un instant inoubliable.

 

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Vincent Touchard & Stephen Binet : « Happy Hours »

 

Voici un autre disque composé de standards et qui ne prétend à rien d’autre que de leur redonner vie et vitalité. Sinon aussi, et peut-être avant tout, à nous donner envie de partager des « Happy Hours », à être heureux avec la musique, comme avec tous ceux avec qui nous la partageons et avec qui elle se partage et s’offre elle-même.

Il y a donc ici – faut-il le préciser – de beaux et clairs moments pour qui aime le jazz. Et certainement pour bien d’autres !
Aux côtés des leaders de cet enregistrement, on trouve aussi dans « Happy Hours » (Jazz Family/Socadisc) quelques invités : Sylvain Beuf, Mathieu Boré, José Fallot, Baptiste Herbin, Baptiste Morel, Duylinh Nguyen, Sidney Rodrigues, Claire Vernay.

 

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Blazin’ Quartet : « Sleeping Beauty »

 

La beauté est-elle endormie ? Ou bien ne serait-ce pas plutôt que ce soit dans ce que l’on pourrait appeler le sommeil qu’il faille voir, découvrir, aimer, ce qui fait la beauté elle-même ? Davantage que dans le mouvement incessant qui se trouve en lui-même plutôt en train de brouiller les cartes, de nous tromper, sur nous-mêmes peut-être.

Peu importe sans doute. Chacun choisira, si toutefois c’est utile ou nécessaire, sa conception de la beauté, faite de clair-obscur ou bien seulement de l’éclair de la lumière.

Sans doute le batteur Srdjan Ivanovic, leader du Blazin’ quartet, compositeur, claviériste a-t-il fait son choix. La démonstration est ici éclatante. « Sleeping Beauty » est une réussite singulière (Le Coolabel/Absilone/Socadisc/avec le soutien de MoonJune Records).

Singulière parce qu’on ne peut guère lui trouver de définition univoque. Srdjan Ivanovic dit bien que sa musique est enracinée dans les Balkans, lui qui est né à Sarajevo. Mais comme il y a ici tant de chatoiements divers, multiples (y compris deux thèmes empruntés à Ennio Morricone), jamais contradictoires certes, mais toujours nouveaux, et surtout tant d’inventions, c’est d’abord pour cette raison que le voyage en « Sleeping Beauty » est aussi réussi.

Le quartet est également composé d’Andreas Plyzogopoulos (tp), Federico Casagrande (g), Mihail Ivanov (b). Magic Malik (fl) est également invité à participer au voyage. Comme chacun d’entre-nous.

 

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Olivier Laisnay & Yantras : « Monks Of Nothingness »

 

Il y a dans le travail du trompettiste Olivier Laisnay une originalité et une puissance remarquables. Voici une musique qui, comme d’autres, peut bien faire penser à ceci ou à cela (assez souvent à Steve Coleman, il est vrai), mais qui, presque au même moment déroute, nous fait précisément changer de chemin, de trajectoire. Il faut dire que ce musicien est nourri de bien des choses si différentes qu’on y découvre aussi bien Olivier Messiaen que le rap ou le free jazz, les musiques électroniques et contemporaines qui sont, comme on le sait, de toutes sortes. Mais cela ne rendrait pas compte non plus de l’originalité du propos de « Monks Of Nothingness » (Onze Heures Onze). Originalité qui n’est pas plus facile à exprimer pour autant. Car les échos d’une musique, ses sources – si tant est qu’elle en ait – ne disent que si peu de ce qu’il faudrait dire. Mais comme elle, échapper au langage, surtout à celui qui prétend concevoir ou même seulement décrire, on dira une nouvelle fois qu’il serait bien dommage de passer à côté de cette nouvelle création sonore où l’on retrouve ici aussi Magic Malik (fl, voix), aux côtés de Romain Clerc-Renaud (p), Franck Vaillant (dm), Damien Varaillon (b) ainsi que le rappeur Mike Ladd sur deux morceaux.

 

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Chris Hopinks Meets The Jazz Kangaroos : « Live ! »

 

Il y a une manière encore, ici avec le pianiste américain qui vit en Allemagne, Chris Hopkins. C’est à un jazz que l’on pourrait dire « classique » qu’il nous invite avec ses camarades « Jazz Kangaroos » : George Washingmachine (violon, voix), David Blenkhorn (g) et Mark Elton (b).

Cela swingue avec bonheur toujours et c’est très bien ainsi. On est emporté sans autre façon par cet enregistrement « Live ! » (Echœs Of Swing Productions). C’est exactement ce qu’il faut pour rappeler si besoin est que la vie peut nous être difficile mais qu’elle, elle est toujours heureuse. Tout ceci est très bien fait et c’est l’un de ces petits bonheurs que l’on aime réentendre.

 

something-joyful-pochette_page-0001-copie-295x300 Christophe Monniot

Jonathan Orland : « Something Joyful »

 

On pourrait rétorquer que la transition est facile et que, par conséquent, « l’art est aisé ».

C’est bien de joie dont il est question ici. Même si cette joie prend des formes diverses, sachant que toute joie n’est pas exubérante.

C’est en tout cas ce qu’affirme lui-même l’altiste Jonathan Orland : « C’est la joie que j’ai voulu mettre en avant dans ce troisième album en tant que leader. La joie de jouer…de ressentir…de m’exprimer librement à travers mon instrument, et par-dessus tout, la joie d’être récemment devenu père ! »

Pour ce faire il s’est entouré de trois musiciens talentueux : Olivier Hutman (p), Yoni Zelnik (b) et Ariel Tessier (dm). Et ce quartet sonne en effet, non seulement à la hauteur de leur réputation mais aussi d’une façon spontanée, naturelle, simple. C’est une chance d’entendre une musique nouvelle et qui ose se réjouir de façon aussi évidente que ce beau « Something Joyful » (Steeple Chase).

 

 

thumbnail_verso_monniot_ithursarry_hd-copie-300x271 Cole Porter

Christophe Monniot & Didier Ithursarry : « Hymnes à l’amour »

 

Duo comme sans fin. Alors faudrait-il dire « duos » ? Peu importe car il est certain qu’ils s’entendent à merveille, Christophe Monniot (as et sopranino) et Didier Ithursarry (accordéon). Tout autant que leurs musiques sont empreintes d’une vivacité constante, d’une fougue irrépressible très souvent, d’une maîtrise intense toujours. Elles nous traversent irrésistiblement et c’est une autre façon de dire à la fois ce que l’on pourrait appeler notre plaisir et aussi leur propre dynamique, leur pertinence, surtout lorsqu’elles s’avèrent assez impertinentes pour cela, n’hésitant jamais ni devant la difficulté ni devant les audaces (nous sommes à l’évidence loin du bal musette, on s’en serait douté.)
Il est en outre remarquable que le titre de ces « Hymnes à l’amour (Emouvance/ Absilone-Socadisc) proclame ce sentiment intime, non parce qu’il s’agirait d’une indiscrétion mais au contraire parce que cette musique en provient et qu’elle ne se cache pas, qu’elle nous y entraîne. Et que c’est ici que jaillit le bonheur de toute musique. L’audace est toujours un hommage (ou un hymne) à l’amour. Surtout lorsqu’elle est portée par la musique.

 

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Louise Jallu : « Piazzolla 2021″

 

Le premier enregistrement de Louise Jallu était remarquable. Celui-ci est une grande et remarquable réussite.

Si les compositions ne sont pas originales puisqu’il s’agit ici de revisiter l’art d’Astor Piazzolla, les orchestrations et interprétations le sont, l’ensemble ici constitué étant d’une remarquable cohérence et d’une parfaite maîtrise. Mais surtout, ce qui fait la force de « Piazzolla 2021″ (Klarthe Records/Pias) c’est sans aucun doute que Louise Jallu sait réunir autour d’elle tous les talents qui permettent d’atteindre un tel sommet. Et peut-être plus encore son intelligence à elle lorsqu’elle apporte à Piazzolla une dimension nouvelle, des couleurs et des émotions que l’on ne pouvait attendre.


Autour du bandonéon de Louise Jallu, il faut citer tous ceux qui ont contribué à ce travail : Mathias Lévy (vl, elec g), Marc Benham (p, fender rhodes), Alexandre Perrot (b), les « invités » Gustavo Beytelmann (p) et Médéric Collignon (bugle). Mais il faut souligner aussi que si Louise Jallu signe la direction artistique (c’est donc bien elle qui est l’âme de « Piazzolla 2021″ – hommage à l’occasion du centenaire de la naissance du musicien), elle a également écrit les arrangements et les compositions, tandis que c’est Ginon Favotti qui a créé les « sons additionnels ».

 

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Guilhem Flouzat : « Turn The Sun To Green »

 

C’est à New York City que le batteur Guilhem Flouzat a composé et écrit les sept chansons qui composent ce « Turn The Sun To Green » (Shed Music/Inouïe distribution). Pour les faire interpréter par la belle, lumineuse et transparente voix d’Isabelle Sorling. Les autres musiciens qui participent à cette création sont le guitariste Ralph Lavital, le pianiste Laurent Coq et le bassiste Des White.

On peut dire « chansons » sans dire véritablement de quoi il s’agit. On pourrait en effet se tromper et ne pas attendre un style aussi propre et, finalement, plus de musique que de chanson au sens habituel. Si les paroles ont leur sens ce qui prime de toute évidence c’est la musique elle-même, la musicalité et ce qui en est à l’origine, une sensibilité et des émotions. Et pour le compositeur comme pour les interprètes une façon d’offrir leurs inventions et une part d’eux-mêmes. Ce qui fait la richesse de cet enregistrement.

 

 

 

 

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Les temps heureux de la musique

 

Cette fois c’est quatorze enregistrements que les « Notes de jazz » ont retenus pour cette parution de fin d’année. Pour leur fertilité, pour leur enthousiasme. Souvent pour l’espèce de joie dont ils sont porteurs.

Par les temps qui courent (courent-ils vraiment?) cela est d’autant plus passionnant. La musique, en tout cas, reste vivante. Et heureuse – même si elle peut être nostalgique, voire mélancolique. Sans doute parce que dans toute création il y a une vitalité qui s’exprime.

Que nos lecteurs, avec nous se réjouissent.

C’est notre meilleur souhait. Pour eux.

Pour le monde. Comme il va.

 

A toutes fins utiles, précisons que, dans ces « chroniques », l’ordre de parution est totalement aléatoire et ne constitue pas un classement qui, de fait et par principe, serait évidemment stupide.

 

 

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Mico Nissim : Traces

 

Cela fait plus de quarante ans que Mico Nissim est apparu comme un pianiste talentueux, à la fois solitaire comme sur « Darlinghetta » (Cobalt), l’un de ses premiers enregistrements en 1980, mais aussi tellement entouré : avec une foule d’artistes, pour autant de projets de toutes sortes musicales, dans l’univers du jazz, mais pas seulement, loin de là, mais avant tout pour celui-ci qui fut toujours, sa patrie – pensons ainsi à ce qu’il donna à l’ONJ de Claude Barthélémy !

Il revient aujourd’hui avec « Traces » (Label Trois Quatre / Absalone -Socadisc), en solo une nouvelle fois. Un solo solitaire pourrait-on dire puisque les compositions sont aussi les siennes. Et qu’il s’agit ici de l’univers de Mico Nissim et de personne d’autre.

Ce qui fait sa singularité c’est l’espèce de douceur, parfois mélancolique, nostalgique, mais surtout venue toujours des profondeurs les plus intimes. Parfois aussi plus enjouée. Mais toujours vraie, absolument authentique, comme la musique que Mico Nissim nous a toujours offert. Et s’il nous offre deux détours, l’un avec Ravel et « La Pavane » et l’autre avec Nougaro et « L’île de Ré », c’est avant tout, toujours lui que l’on entend. Et peut-être, là encore, comme les traces, à la fois persistantes, mais aussi éphémères, de ce qui l’anime sans cesse.

 

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Pierre de Bethmann : Essais/volume 4

 

Il n’y a pas besoin de surprise pour être séduit. « Pas de surprise » puisqu’il s’agit ici d’un quatrième volume d’une œuvre conduite par le pianiste Pierre de Bethmann avec le contrebassiste Sylvain Romano et le batteur Tony Rabeson dont on connaissait évidemment les trois précédents. Ils étaient enchanteurs. Comme l’est celui-ci. Qui n’est d’ailleurs que le produit de séances antérieures et, principalement, de celle qui avait abouti au « volume 3 ».
Ce qui est ici remarquable, c’est que ce travail, qui fait penser à celui de quelques grands trios antérieurs (Bill Evans, Keith Jarrett, Bill Charlap et quelques autres et non des moindres) est à la fois constant, obstiné presque, plongeant souvent dans les racines de l’histoire du jazz, tout en produisant une musique unique, propre, c’est-à-dire spécifique, ayant sa pleine identité. On trouve ainsi dans ce quatrième volume des compositions de Wayne Shorter, de Charlie Parker et Dizzy Gillespie, Carla Bley, Kenny Wheeler, Sonny Rollins ou Thelonious Monk. Mais aussi l’improbable « Think Of One » de Paul McCartney ou « Moreira » de Guillermon Klein.

Sans doute est-ce là que se trouve la notion d’ « essais » que nous annonce le titre de cet enregistrement : commentaires personnels d’œuvres ou de compositeurs remarquables, non pour s’en servir mais au contraire dans le seul but de les mettre en lumière, de les faire entendre dans une autre dimension que celle originale, afin de leur donner, non pas autre chose, mais davantage encore leur pleine force.

 

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Celia Forestier : Go

 

La chanteuse Celia Forestier ne fait pas dans la facilité. Avec son groupe Komorebi elle fait preuve d’une exigence de tout instant. Pour autant, on voyage dans « Go » (Label A part la Zic/Inouïe distribution) avec plaisir, ou plutôt comme fasciné, envoûté, partageant ce qui s’apparente à une transe, heureuse, ciselée d’émotions, douces ou violentes, apaisantes et heureuses souvent. Il y a ici beaucoup de beauté, d’étrangetés, de mystères qui sont au même moment et comme à l’inverse l’occasion de dévoilements, d’apparitions, de clartés sombres, de voyages erratiques, sans but mais remplis de découvertes toujours vivifiantes.
La voix claire et saisissante de Celia Forestier nous guide dans cet univers qu’il faut habiter puisqu’il nous invite au partage, à l’exigence joyeuse d’être ensemble. Le violoncelle de Bruno Ducret, allié à la contrebasse inventive de Vincent Girard, à la batterie discrète et pour cela d’une justesse totale de Rémy Kaprelian, ainsi qu’à la guitare parfaite de François Forestier, soutient tout le groupe ou plutôt permet à la chanteuse de voler au-dessus d’instruments qui ne lui sont pas soumis mais qui cependant font absolument corps avec la voix, comme dans une sorte d’unité primordiale. Et c’est cela qui nous enchante.

 

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La Boutique, Fabrice Martinez & Vincent Peirani : « Twins »

 

Voici une musique qui vient de loin. D’un lointain très proche dans le temps, il faut bien le dire (quitte à se contredire, au moins en apparence) mais de sources profondes et généreuses. De celles qui ont marqué les années quatre-vingt et quatre-vingt dix ou même du début du siècle en cours, du jazz en France et en Europe. A tout le moins. Et là il ne s’agit pas de n’importe quoi et de n’importe qui.

Si le trompettiste Fabrice Martinez qui est au cœur du collectif La Boutique est une sorte de descendant du regretté Jean-François Canape, il a aussi été marqué par le Méga Octet (Andy Emler) ou le Supersonic (Thomas de Pourquery) où il a joué, comme par le Sacre du Tympan (Fred Pallem). A la tête d’une formation comme celle-ci il s’agit d’expériences que l’on pourrait dire décisives, qualificatif que l’on doit entendre ici comme en-deçà (ou au-delà) de l’originalité même du propos.
Celle-ci est aussi (et tout particulièrement) le fait du compositeur Jean-Rémy Guédon. Lui, a fait ses armes avec Michel Goldberg, Jean-Louis Chautemps, Steve Lacy ou encore Dave Liebman. Puis il a joué avec Claude Barthélémy, Laurent Cugny, Sophia Domancich, Antoine Hervé, Bernard Lubat, Albert Mangelsdorf, l’ONJ de Didier Levallet tandis qu’il réunissait chaque fois qu’il le pouvait musiciens de jazz et musiciens « classiques ».

C’est cette dernière direction qui l’a conduit à « Twins »…comme son nom sans doute l’indique. On trouve en effet dans cet octuor, outre Fabrice Martinez, le hautbois et le cor anglais de Vincent Arnoult, la clarinette basse d’Emmanuelle Brunat, les saxophones de Clément Dubois, la clarinette de David Pouradier Duteil, la basse d’Yves Rousseau et l’accordéon de l’invité Vincent Peiriani.
L’infinité des couleurs, des climats en même temps que leur cohérence font de cette œuvre un ensemble d’une somptueuse architecture.

 

le-bex-tet-round-rock-300x300 Christofer Bujrström

Emmanuel Bex/le Bex’tet : « ’ Round Rock »

 

Un autre qui a trouvé une partie de son énergie naissante aux côtés de Bernard Lubat c’est Emmanuel Bex.

Et voici qu’il s’est à nouveau enflammé, ce musicien dont l’art est fait d’audace, toujours. Avec ce talent à l’extrême, celui de nous embarquer irrésistiblement.

Avec son fils Tristan à la batterie et au cajon et son pote Antonin Fresson aux guitares (électrique ou acoustique), l’orgue hammond ou son accordéon, tous ici empreints de blues (« Sometimes I Feel Like A Motherless Child » en est assurément un bel exemple), Emmanuel Bex réussit un enregistrement que personne d’autre n’aurait jamais pu imaginer. Cela s’ouvre par une version 2.0 de « La Marseillaise » et se clôt par la version du même hymne national sous le titre de «3.0 ».

Mais au-delà ce ça, il faut entendre « Jacques Brel Always » ou « Charlie Of Course » (Parker on l’aura sans doute imaginé) ou « J’irai revoir ma Normandie » (« ce pays qui m’a donné le blues ») et « Station Saint-Denis-Basilique » pour saisir ce qu’Emmanuel Bex est capable, souvent l’air de rien – et là est le tour de force – de nous proposer, remarquablement épaulé, il faut le souligner, par ses deux jeunes compères.

S’il y a à se réjouir, on trouvera dans ce fameux « ’Round Rock » (Le Triton/L’autre distribution) toutes les raisons de le faire mille fois.

 

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Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle : « Eleanora »

 

C’était un temps avant le temps lui-même : c’était alors un temps où Billie Holiday s’appelait encore Eleanora, Eleanora Fagan. Avant d’être « Lady Day » et la chanteuse la plus étourdissante sans doute de toute l’histoire du jazz.
C’est à cette époque-là, réputée heureuse, de sa vie (la seule ? Mais peut-être qu’elle ne l’était pas davantage que les autres, celle d’avant et celles d’après) que ce disque rend hommage.

Il faut bien dire qu’il y a ici une ambition difficile à réaliser pleinement. Quel parti prendre ? Celui d’un « revival » est-il le meilleur, s’il est le plus évident ?

C’est à peu près ce qui est fait ici. Il faut le dire : au mieux assurément de ce que l’on peut faire en la matière. C’est-à-dire s’approcher de l’original sans le détourner, sans pouvoir non plus l’atteindre vraiment. Puisque, quoi qu’il en soit, celui-ci vibre et vit dans nos cœurs depuis trop longtemps pour qu’il en soit ainsi.
L’intérêt que suscite le plus « Eleanora » (CQFD/L’autre distribution) c’est la lumière qu’il porte sur les débuts de Billie Holiday, sur sa beauté essentielle, sur le don qu’elle fit toujours d’elle-même quitte à devenir le propre éclair qui la foudroyait chaque jour.
Il faut dire que le Hot Sugar Band et Nicolle Rochelle y mettent, eux aussi, à leur façon, tout leur cœur assurément.

Le Hot Sugar Band est composé de Bastien Brison (p), Julien Didier (b, chant), Jonathan Gomis (dm,arrangements), Julien Ecrepont (tp), Jean-Philippe Scali (as, arrangements), Corentin Giniaux (cl, arrangements) et Vincent Simonelli (g).

 

cover-switch-trio-300x300 Diego Imbert

Fred Nardin Switch Trio : « In Town »

 

Le Switch Trio, composé par le pianiste Fred Nardin, le guitariste Maxime Fougères et le bassiste Samuel Hubert offre avec « In Town » (Jazz Family) une musique rare, captivante, là-même où elle suscite toute notre écoute, toute notre attention. Par sa singularité comme par ce qu’elle décrit, ce qu’elle dit, avec une grande discrétion, c’est-à-dire une ultime précision, méticuleuse et par conséquent généreuse. Si l’on veut bien considérer que la générosité ne ressort jamais de l’abondance mais seulement de la manière dont ce qui est offert est proposé. Alors on trouvera de grands bonheurs à l’écoute des échanges de ces trois musiciens. Parce que, ce qu’ils jouent, ils le jouent comme si cela était simple et naturel – on n’offre pas, en effet, à ses auditeurs, ni même à soi-même, quoi que ce soit en compliquant la réalité mais précisément et seulement en faisant ce qui peut et doit être fait comme si cela allait de soi.

Les interprétations de thèmes de René Thomas (ce trop rare guitariste belge reste dans nos mémoires), Benny Golson, Steve Grossman, John Ellis, Mulgrew Muller ou Billy Strayhorn, ou celles de Fred Nardin ou Maxime Fougères sont toutes secrètes à l’instant même où, pourtant, elles nous sont dévoilées.

C’est là le secret de toute belle musique.

 

arton3478856 Eleanora

Roberto Negro : « Papier Ciseau »

 

Il y a bien des musiciens et des musiques inclassables mais, dans cette « catégorie » (qui, bien entendu, n’en est pas une), Roberto Negro et ses camarades de « Papier Ciseau » (Label Bleu/L’autre distribution), Emile Parisien (s), Valentin Ceccaldi (b) et Michele Rabbia (dm, electronics) se distinguent par leur originalité.

On pourrait donc dire, si cela ne semblait pas (à tort) péjoratif, que ça ne ressemble à rien et au moins à pas grand-chose. Et voici ce qui pourrait être aussi et par conséquent, le plus vibrant hommage.

Il y aurait alors dans « Papier Ciseau » une invention aussi radicale que possible (pas totale sans doute car on hérite toujours plus ou moins de quelque chose, même lorsqu’on s’en défend). Mais il est bien possible que si l’on posait la question au pianiste hors normes qu’est Roberto Negro qu’il nous réponde qu’il a maintes et maintes inspirations et qu’il se nourrit de quelques grands ancêtres de son instrument, du jazz et de toutes les musiques que le monde a déjà connu.

La difficulté ici n’est pas dans la musique mais dans le fait qu’elle est indescriptible : que l’on sent bien que les mots, les périphrases, les analogies, les « images » qui pourraient tenter d’en rendre compte, de dire quelque chose de plus ou moins juste à son propos seraient à peu près vaines. A moins qu’il se trouve quelqu’un qui en soit capable. Mais le premier venu de ces « Notes de jazz » a plutôt tendance (par respect et pas tout à fait par facilité) à refuser l’obstacle.
En effet, les créations de quartet, de ces trois individualités ici rassemblés par l’amour de l’invention, par goût de l’audace, par respect aussi – cela s’entend – de celles et ceux qui les entendent et par là s’imprègnent d’eux, sont telles qu’elles doivent être reçues, semble-t-il, sans commentaires, sans extrapolation.

Car c’est à chacun de ressentir, d’accepter ce jeu et cet enjeu, ou de le refuser, de découvrir et de se découvrir. Comme le font Roberto Negro et ses amis.

 

A-Place-That-Has-No-Memory-Of-You

Laurent Dehors & Matthew Bourne : « A Place That Has No Memory Of You »

 

« A Place That Has No Memory Of You » est à écouter, à recevoir plus précisément, avec de grandes précautions. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu’il faille plus ou moins s’en défier.

Bien au contraire : parce qu’il faut recueillir les créations de Laurent Dehors (clarinette basse) et Matthew Bourne comme elles nous sont offertes : avec délicatesse, prudence, avec tout ce qui précède et préside à une offrande à celle ou à celui qu’on aime, à ceux avec qui l’on tient à partager, non pas un seul moment, mais au moins comme un instant lorsqu’il est une part de l’éternité ou même celle-ci tout entière et que le temps qui passe, alors, n’a plus de signification.

Il y a ici seize pièces, généralement brèves, qui sont comme seize poèmes actuels, en ce sens qu’ils sont dits, et pas seulement dans le silence d’une lecture intérieure, « silencieuse » dit-on, par ceux-là même qui les inventent, comme une part d’eux-mêmes et qui s’adressent à une autre part de chacun d’entre-nous. A moins qu’il ne s’agisse pas d’une partie mais plutôt de notre entièreté, de ce que nous sommes et ce que sont les musiciens eux-mêmes.


Il y a ici seize définitions, ou plutôt seize expressions et seize impressions aussi, de la beauté. Peut-être d’une seule beauté, d’une seule lumière qui adviendrait de manières différentes mais qui serait unique.


Il ne faut pas enfin, s’interdire de noter que la présentation graphique et matérielle (dans toutes ses composantes) de cet album CD, comme toutes celles du label Emouvance, est à la hauteur de la musique elle-même.

 

nuages-300x300 Emmanuel Bex

Mauro Gargano : « Nuages »

 

On pourrait se référer à l’un des textes les plus importants de toute l’histoire de la littérature, texte qui ouvre « Le spleen de Paris » de Charles Baudelaire pour évoquer « …les nuages qui passent…là-bas…là-bas…les merveilleux nuages ! ».

Dans le texte de présentation de « Nuages » (Digginmusic Prod/Absilone) le contrebassiste Mauro Gargano en appelle plutôt à Pasolini et à Shakespeare : « Ce sont les nuages. Et ce sont quoi les nuages ? Je ne sais pas… Ah déchirante, merveilleuse beauté du monde ».

Comment donc relire les « Nuages » de Django à la lumière de la poésie ? C’est ce que fait Mauro Gargano (la basse y a une place centrale) avec Matteo Pastorino (clarinettes), Giovanni Ceccarelli (p) et Patrick Goraguer (dm) de façon déchirante, renversant l’écoute que nous en avons, pour clore avec ce thème si souvent interprété, ici avec une intensité extrême, un enregistrement de haute tenue, de grande exigence et surtout d’une beauté souvent étrange et toujours sidérante.

Aussi captivante sans doute que les nuages « étrangers » de Baudelaire.

 

pochette-ecume_3000-1024x1024-300x300 Fabrice Martinez

Christofer Bjurström : « Ecume de mai »

 

« C’est tout ce que nous avons voulu faire et n’avons pas fait …

…Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait… »

C’est bien cette « Oublieuse mémoire » du poète Jules Supervielle qui est l’une des références littéraires du pianiste Christofer Bjurström pour cette « Ecume de mai » (MZ Records/Marmouzic).

Ici chacun des titres renvoie à un poème. Et l’on est donc, outre Supervielle, sous le signe d’Emily Dickinson, de Sylvia Plath, de Claude Roy, d’Abdellatif Laabi ou de Raymond Carver et de Bo Carpelan, les citations accompagnant le CD grâce à l’utile petit livret !
Et, ce qui est sans doute le plus remarquable dans la musique de Christofer Bjurström c’est ce que l’on pourrait appeler son « travail ». Peut-on dire qu’il joue du piano lorsqu’il fait entendre les sifflements du vent qui, balayant la mer, soulève l’écume pour l’amener jusque sur nos pas ?

Même si le jeu n’est qu’une manière de dire ce que le musicien arrache au silence avec son instrument, il y a ici une sorte de mise en œuvre, pas si nouvelle il est vrai puisqu’on a bien vu au moins depuis les années soixante du siècle précédent, de ces pianistes qui, de leurs seuls doigts ou bien armés d’instruments in-identifiables plongeaient soudain dans le corps du piano pour y faire on ne savait trop quoi mais que l’on entendait avec surprise, avec effroi parfois, avec plaisir et un intérêt nouveau souvent. Bjurström pratique sans doute dans cet esprit des techniques similaires mais, contrairement à ses prédécesseurs, ce qu’on appellera donc son « travail », n’a pas tout à fait la même place, désormais plus discrète, comme intériorisée alors qu’elle n’était que la cause ou le reflet peut-être d’une extériorisation qui, précisément se voulait telle et qui ici n’a pas vraiment sa place.
La musique de cette belle « écume de mai » est à écouter comme une suite de méditations, là où celles-ci ne sont pas un écart du monde, mais le chemin vers la juste place que chacun vaut, mérite, recherche, face à ce qui l’entoure.

 

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Diego Imbert & Alain Jean-Marie : « Interplay, The Music Of Bill Evans »

 

Voici deux musiciens dont le talent et l’intelligence sont assez connus et reconnus, s’il fallait encore le souligner, et on attend alors une si belle musique.

Surtout lorsque Bill Evans est l’une de vos « références » les plus intenses, toutes musiques, toutes formes artistiques confondues – votre « idole » quoi.
Et l’on trouve ici en effet, tout son bonheur car les quinze titres choisis par Diego Imbert (b) et Alain Jean-Marie (p) tirés du répertoire de Bill Evans sont joués comme on pouvait s’y attendre, avec fidélité, amour même sans doute, beaucoup d’habileté (comme le souligne Pascal Anquetil dans le texte d’accompagnement, l’art du duo piano-basse n’est pas aisé).

Cet « Interplay »(Trebim Music/L’autre distribution) nous fait redécouvrir, s’il en était besoin, le génie de Bill Evans.

Et, somme toute, on peut même dire qu’il y a ici un équilibre qui parfois dépasse celui des duos avec Eddie Gomez dont le talent était exceptionnel, mais tellement – si l’on peut dire – qu’il était parfois parvenu à faire oublier celui du pianiste, allant jusqu’à envahir « l’espace » musical.
Il faut singulièrement remercier aussi Diego Imbert et Alain Jean-Marie de nous rappeler Bill Evans, disparu il y a quarante ans déjà, mais dont la présence demeure pour tous ceux qui l’on connu. Ils ouvrent peut-être aussi une porte sur son univers à tous les autres.

Nous nous souviendrons enfin que « l’interplay » est peut-être une autre façon de désigner ce qui fait la singularité du jazz, des musiques que nous aimons.

Ces deux musiciens en offrent ici un singulier exemple !

 

disc-gn-stride-piano-kings-300x267 Fred Nardin

Guillaume Nouaux : « The Stride Piano Kings »

 

Guillaume Nouaux est à coup sûr l’un, sinon le meilleur, des batteurs de jazz traditionnel. Il y a quelques mois il avait réalisé un double album rendant hommage aux grands clarinettistes des origines. Il revient avec un autre hommage, rendu cette fois au style « stride ». Et donc aux pianistes qui ont transformé le ragtime pour en faire ce que l’on a appelé ainsi, pour se libérer peut-être d’un répertoire et surtout d’une façon de faire qui pouvait omettre la part de liberté que cette musique portait pourtant déjà en elle.

Guillaume Nouaux dialogue sur quinze titres, non seulement avec un pianiste (ils sont sept au total à se partager la tâche : Louis Mazetier, Bernd Lhotzky, Luca Filastro, Chris Hopkins, rossano Sportiello, Harry Kanters et Alain Barrabes.) On entend les musiques, notamment, de James P. Johnson, Fats Waller, Ray Noble, Duke Ellington ou Richard Rogers.
Et tout cela, qui est admirablement fait, est réjouissant, emballant. Joyeux, vivant, vivifiant.

On notera enfin que cet enregistrement est auto-produit (www.guillaumenouaux.com)

 

iic-cd-front-cover-300x277 Guillaume Nouaux

Kari Ikonen : « Impressions, Improvisations and Compositions »

 

Kari Ikonen est un pianiste finlandais qui aborde la musique par plusieurs chemins. Le jazz y a une place importante, mais aussi les musiques orientales, proches comme les musiques arabes ou plus lointaines comme celles venues du Japon. Il s’avère qu’il a aussi conçu un dispositif qui se place en cinq secondes et se retire en trois (je n’ai pas tenté la chose cependant !) et qui produit ainsi des micro-intervalles.

Tout cela permet à Kari Ikonen d’offrir une musique souvent très étonnante qu’il nous donne ici en solo, ce qui semble parfaitement s’accorder avec ses conceptions et ses objectifs qui requièrent une sorte de concentration, presque de transe et qui, ainsi peut-être, suscitent en nous des émotions particulièrement intenses.
L’autre chemin que semble emprunter ce pianiste singulier c’est aussi celui d’une référence au peintre Vassily Kandinsky auquel le titre « Impressions, Improvisations and Compositions » (Ozella Music/Inouïe distribution) fait directement écho.On sait que la peinture abstraite de Kandinsky était celle d’un monde intérieur et qu’elle avait pour but – ou plutôt faudrait-il dire pour être plus précis et surtout plus juste, comme origine ou comme source si l’on veut – quelque chose comme le sentiment intérieur. Kandinsky, ainsi, est ce peintre qui plus que quiconque a fait voir l’invisible. (On peut lire sur ce thème le livre du philosophe Michel Henry « Voir l’invisible » Quadrige/PUF)
Nul doute que les recherches, multiples, mais entrelacées et telles qu’elles sont désormais indissociables de Kari Ikonen, proviennent de la même source originaire.

 

 

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